Ce matin, je suis sorti sans manteau pour aller au travail. Une grosse pluie de début d'hiver martelait Tel-Aviv ,et j'allais dans la rue la figure battue par les gouttes violentes qui balayaient en biseau le quartier endormi . La terre des jardins ne buvait déjà plus les eaux dégoulinantes et les égouts engorgés par les premiers gros orages transformaient les rigoles en ruisseaux qui peu à peu débordaient sur les trottoirs . Abrité sous un arbre feuillu qui agitait ses branches sous les rafales de vent,je regardais les filets d'eau qui glissaient des feuilles vernissées et entraînaient dans leur chute les brindilles cassées et les feuilles jaunies et décollaient des pare-brises des voitures rangées silencieusement leurs petits placards empoisonnés et délavaient les affiches ignominieuses et les lâches et hâtifs graffitis des murs barbouillés de rouge, comme pour la toilette mortuaire de la ville en deuil ..
Les gargouilles des toits vomissaient les liquides qui balayaient les poussières et les sables de l'été ,fourbissaient les carreaux et les marches des trottoirs tout luisants, mais la honte incrustée dans les dalles de la Place des Rois d'Israel , ineffaçable,
embuait même les yeux des ennemis d'hier . J'attendais une accalmie , encore assommé par le crime de la veille dont j'avais été témoin à cette funeste soirée à la télévision . Hier soir encore, Yitzak Rabin clôturait une manifestation de masse contre la violente opposition qui gangrène le pays en chantant en choeur avec des centaines de milliers de citoyens la Chanson de la Paix . La joie qui se lisait sur son visage de se voir entouré de fidèles citoyens, l'enthousiasme des participants , en quelques minutes se changea au bruit de coups de feu en une tragédie qui allait bouleverser l'Histoire .
Embrassant sur le podium ses amis et se séparant d'eux, il descendit les marches pour regagner sa voiture et là,l'attendait patiemment son assassin qui avait échangé des sourires hypocrites avec les policiers de garde et brusquement lui tira dans le dos à bout portant des balles de son revolver (1).
Le reportage que l'on croyait terminé reprit avec l'annonce des détonations et sur l'écran parut une foule de policiers en cercles concentriques plaquant contre un mur l'assassin . Je venais d'assister avec tout Israel, à l'assassinat du Premier Ministre Yitzak Rabin . Le commentateur qui au début ne pouvait donner de détail sur la gravité des blessures, revint sur l'écran en jaquette et cravate noires, annoncer au peuple juif la mort de celui qui avait dès l'âge de 17 ans participé victorieusement à tous les Combats d'Israel pour mourir ce 4 Novembre 1995 en fin de Shabat sous les balles d'un juif fanatique .
Le chauffeur du Premier Ministre et le garde du corps qui avait poussé Rabin mourant dans sa voiture foncèrent vers l'hôpital Ichilov tout proche, se frayant un chemin dans le quartier encombré par la manifestation . Rabin fut aussitôt placé en salle d'opération ,tandis qu'à l'entrée de l'hôpital la foule attendait des informations . Eytan Haber, son ami et secrétaire parut enfin à 23 h,le visage décomposé et apprit à la Nation la mort du Héros de la Guerre des Six Jours avec ces mots :
" Le Gouvernement d'Israel fait part avec la plus grande stupeur et profonde douleur la mort d'Yitzak Rabin, qui a succombé sous la main d'un assassin ce soir à Tel-Aviv" .
Suivirent des cris déchirants " Non, non, ce n'est pas possible !" des citoyens en larmes qui attendaient devant le porche de l'hôpital .
Les médecins confièrent à Aber le combien symbolique papier plié dans la veste et couvert de sang où étaient inscrites les paroles de la Chanson pour la Paix que Rabin avait entonnées moins d'une heure avant . Pour moi,comme pour beaucoup de citoyens, Israel n'était plus ce qu'il représentait de Justice et d'Amour .La lutte fratricide était un fait, comme aux temps bibliques . Voici pourquoi il a été assassiné, il venait de déclarer ce soir là :
"J'ai été un soldat pendant vingt-sept ans, j'ai combattu aussi longtemps qu'il n'y avait pas de chance de paix, mais je crois qu'aujourd'hui cette chance existe. Le peuple veut la paix et s'oppose à la violence car c'est la violence qui mine les fondements de la démocratie israélienne. Il faut la dénoncer, il faut l'isoler, il faut la vomir...... la voie de la paix est préférable à la voie de la guerre. C'est un soldat qui vous le dit, un ministre de la défense, un homme qui a vu la douleur des familles en deuil.... c'est pour ces familles, pour tous les enfants de notre pays et, dans mon cas, pour mes petits enfants que mon gouvernement doit tout mettre en oeuvre pour arriver à la paix...."
(1) Rabin ne portait jamais de gilet protecteur bien que très menacé .
Mon transport du personnel s'approchait .Une pièce de tissu noir flottait à son rétroviseur, comme à ceux de tous les véhicules qui passaient . J'allais le coeur serré à mon travail. C'était le meilleur hommage que je pouvais faire à Yitzak Rabin .
Le cercueil de Rabin drapé de l'Etoile de David à bord d'un command-car, monta lentement de Tel-Aviv à Jérusalem, passant sur cette route bordée de chaque coté des épaves des autos et camions blindés qui avaient forcé le blocus de la Capitale lors de la Guerre d'indépendance à laquelle Rabin avait participé . Il ne pouvait pas être de plus émouvante garde d'honneur que les témoignages muets de ces sacrifices glorieux .
Les paroles de sa femme Léah pleine de dignité et sans esprit de vengeance, les mots bouleversants prononcés par Noah,sa petite fille, firent de ces obsèques un deuil vraiment national et même international .
Qui mieux que Itzak Rabin pouvait connaître le conflit qui oppose encore aujourd'hui Israel et ses ennemis à ses frontières et même à l'intérieur. Les sanglants attentats ordonnés par Yasser Arafat rendaient la vie infernale aux israéliens. Rabin à Oslo pensa trouver le début d'une solution pacifique où la parole ferait place à la violence . Il y croyait et il signa des accords où tout était minutieusement prévu, tout sauf qu'Arafat était un cruel menteur qui fit de cette cérémonie largement médiatisée une farce sitôt l'encre séchée .
Arafat n'avait jamais pensé à reconnaître l'Etat d'Israel, quelque soit sa taille et ses frontières, même de 1949. Dans les écoles palestiniennes la haine et les mensonges étaient enseignés ( comme maintenant ) dès la première classe . Le vent en poupe, et soutenu par l'O.N.U, il poursuivit scientifiquement ses attentats avec des bombes mises à feu par téléphone portable, tout en torturant dans ses territoires tout oppositionnaire .
Les autobus explosaient avec leurs passagers à Tel-Aviv et à Jérusalem et la colère montait chaque jour un peu plus dans la rue accusant la politique de Rabin . Sachez qu'à cette époque en ville, les automobilistes se tenaient à bonne distance des autobus, craignant de sauter avec . Et des passagers soudain suspicieux à la vue d'un passager ou d'un sac descendaient des transports en commun avant l'arrêt de leur choix .
L'opposition odieuse tapissait les murs d'un Yitzak Rabin déguisé en uniforme SS, ou coiffé de la Kafya de Yasser Arafat . Les manifestants hurlaient sous sa maison jour et nuit. Un Ravaillac allait sortir de l'ombre et préparait soigneusement sa mission mystique. Les services secrets qui auraient du le découvrir firent défaut . Ygal Amir ainsi que son frère avaient caché un arsenal de munitions dans le Jardin d'Enfants tenu par ses parents. Ygal Amir, étudiant en Droit (!) à l'Université de Bar-Ilan à orientation religieuse, ne cacha rien de ses opinions politiques et se félicita au Tribunal de son action ignominieuse . Il est considéré à ce jour comme un "Sauveur" par une faible fraction de la population israélienne .Traduit en justice,il a été condamné à la prison à vie. Peu à peu ses conditions de détention ont été améliorées. Ces dernières années, il a été autorisé à se marier à l'intérieur de la prison, avec une divorcée mère déjà de quatre enfants. Certains de ses partisans politiques poursuivent leur lutte pour obtenir sa libération, quoique que la grâce présidentielle lui ait été interdite à jamais par le Tribunal .
Une cellule spéciale l'a reçu lui et sa femme pour que l'acte du mariage ne soit pas qu'un document . Un petit garçon est né d'Ygal et Larissa Amir et a été circoncis un.. 4 Novembre, 12 ans après le crime .
Depuis longtemps Israel est sortie de Gaza . Un mur de béton a enfin été élevé (bien qu'incomplet) après que tant de victimes juives innocentes en aient payé le prix de son absence et trace une frontière physique provisoire .Les tueurs ne peuvent plus voyager en taxi de Ramallah ou Djénine pour venir commettre leurs forfaits . La sincérité de Rabin dans son espoir d'un règlement du conflit n'a pas abouti :un ennemi encore plus féroce si cela était possible et intransigeant règne à Gaza et y fait régner la Charia et la terreur par tous les moyens . Israel, malgré les tirs intensifs de fusées en provenance de Gaza, non seulement laisse passer (2) les transports d'essence,de gaz,de ciment et de fer de construction et surtout d'alimentation et médicaments pour aider la population arabe,mais ouvre aussi sa frontière humanitaire aux enfants gazaouites qui souffrent de cancer ou de déformations cardiaques pour les hospitaliser dans les meilleures conditions médicales .
L'esprit d'Yitzak Rabin n'est pas mort .
(2) La frontière de Gaza avec sa voisine l'Egypte (!) est hermétiquement close, une tactique pour à la fois éviter la contagion du Hamas, mais aussi pour éloigner tout espoir de solution en maintenant sous pression les habitants .
Un soldat du nom de Guilad Shalit, blessé dans son tank stationné à un avant poste de Gaza,( ses camarades y ont été tués ), a été enlevé il y aura bientôt plus de 4 ans par le Hamas qui le tient au secret le plus total , sans visite de la Croix-Rouge ou d'une autre instance internationale au mépris des Conventions de Genève . En Israel les prisonniers arabes jouissent de tous les droits légaux , y compris de se marier,
recevoir du courrier et des colis, des visites, des avocats et même d'étudier, comme le sinistre assassin du nom de Sami Kuntar qui a écrasé le crane de la petite fille de 4 ans à coup de pierre,et ensuite tué son père, et a causé l'asphyxie du bébé caché dans une armoire . Ce monstre en pleine santé (95 Kg) vient d'être échangé à la frontière Libanaise contre des ossements de soldats israéliens après deux années que le Hamas les faisaient croire blessés). Il a été accueilli au Liban comme un héros par toutes les autorités , et promu comme un exemple dans les troupes du Hamas . Il y fait avec eux le salut hitlérien à chaque parade .
(Ce placard était collé à de nombreux véhicules, et parfois encore aujourd'hui )
Un jour que j'attendais ma fille qui chantait dans une chorale dans un auditorium en l'honneur de je ne sais plus quelle occasion où Yitzak Rabin était venu prononcer quelques mots, je le vis soudain sortir devisant avec un ami et descendant les quelques marches pour se diriger lentement vers son auto, la célèbre bleu-métal aux rideaux blancs . Il passa près de moi . Je fus tellement surpris que j'en oubliais de le photographier ! Durant toute mon attente sur l'esplanade ,je ne fus pas inquiété par son chauffeur et gardes du corps occupés à choisir des boissons rangées dans un mini-réfrigérateur dans la malle arrière .
Au sujet de cette tragédie, nombreux sont les auteurs qui ont sauté sur cette occasion pour falsifier la vérité, propager de fausses informations et délirantes suppositions de conspiration et semer le doute pour masquer les responsabilités, comme celà est commun dans les évènements politiques. La vérité nue est assez cruelle pour se suffire à elle-même et entrer dans l'Histoire .
Des photos de ces journées épouvantables et des témoignages télévisés abondent sur le net ,mais mon but était de vous faire part de mon émotion personnelle qui me laisse inquiet pour l'avenir .
Voici le Mémorial construit par Yael Ben-Artzi sur l'emplacement de l'attentat,rue Ibn-Gvirol,à la hauteur de la Mairie de Tel-Aviv. Les morceaux de blocs de basalte chaotiques issus du Plateau du Golan symbolisent la secousse quasi tellurique qui saisit les Israéliens à cette date. En fond, des graffitis et un grand "Pardon!" dessiné en grosses lettres : le reflet d'une prise de conscience dans le pays ,mais trop tardive .
Dans ma détresse de Novembre 1995, je ressentis comme un apaisement après la tempête, car chacun semblait se rapprocher de son voisin après le coup de tonnerre. Après 14 ans, c'est la même émotion et appréhension qui m'étreignent quand je passe sur ce trottoir .
J'avais alors écrit une lettre à la famille Rabin en 1995 ; restée cachetée et timbrée je ne l'ai jamais envoyée, et je m'en félicite car elle n'était pas mesurée . Alors je lui dédie ce modeste blog où j'y ai recopié quelques phrases d'alors en solidarité et admiration .
(photo Tour-plan-israel)
Je vous invite à écouter la chanteuse Meital Trabelsi interpréter cette chanson mise en musique par Naomi Shemer en la mémoire d'Yitzak Rabin, à partir du poème de Walt Whitman "Oh Captain,My Captain !" écrit en l'honneur du Président Abraham Lincoln assassiné en 1865.
Sur l'écran paraissent le visage épuisé de Léah Rabin (décédée depuis ) et de sa petite-fille Noa dont les mots ont tant ému un peuple entier aux obsèques de son Grand-Père .