Chapitre 2:
L’Arrivée à
C’est le froid qui me réveilla de mon engourdissement , et je fus tout surpris de l’obscurité, nous étions entourés de méchants nuages, et seules les étoiles les plus fortes étaient parfois perceptibles.
- Réveille le chat, dit le tapis,
avec la gorge serrée, je commence à être fatigué et je ne vois pas grand-chose dans ce ciel cotonneux . J’ai peur de perdre la bonne direction.
Louis, (c’est en fait le nom qu’il avait reçu en raison de son attitude royale et hautaine), troublé dans son sommeil, redressa la tête, pointa ses oreilles, se lécha les pattes et lissant ses moustaches et son petit nez rose se réveilla complètement.
Dans toutes ces montagnes de nuages noirs qui nous entouraient, je me sentais comme un Guillaumet cherchant un passage dans les Andes. Louis grimpa sur mes épaules comme une vigie, scrutant de ses yeux jaunes la nuit d’encre. Pigeon à babord miaula-t-il, mis soudainement en appétit.
- Moi, ironique :" Que c’est beau la démocratie ! "
- Je suis pressé d’apporter la bonne nouvelle et vous quitte !
- Le chat: "Oiseau de malheur, puisses-tu être dévoré avant d’atteindre ton but !"
- Le tapis en colère:" pas de politique s’il vous plait, n’avez-vous pas lu l’Aviss du Livre d’Or ? Concentrez-vous plutôt à guetter les premières effluves de fleurs d’orangers de
Le ciel soudain s’éclaira, d’abord une pâle lueur qui transforma les masses noires en nuages blancs qui s’effilaient en brumes roses caressées par les rayons du soleil, et ce fut un cri de joie lorsque l’horizon s’empourpra et que la fine ligne grise annonça la côte algéroise. Le Djudjura se découpait nettement et le soleil dans notre dos éclairait le manège des mouettes qui annonçaient la proximité de la terre ferme.
-Suis-les donc, dis-je à notre transporteur qui n’en pouvait plus, elles nous amèneront dans la baie et là,je pourrai te guider.
Lorsque j’avais quitté Alger en bateau en 1962, c’était à une heure où le soleil était déjà haut et écrasait la ville d’une lumière uniforme. Cette fois, c’était un retour triomphal car le soleil à peine sorti de la mer éclairait en ombres rasantes les mille cubes de la capitale et chaque batisse sortait comme un bas relief de cet amphithéâtre unique qu’est notre ville. Je pouvais déjà mettre un nom sur ces espaces habilement dressés par la main de l’homme. Et seule
Le tapis s’étala de tout son long.épuisé et ému d’avoir tenu sa promesse et me courbant, le touchant de mon front, je l’embrassais en carressant de mes deux mains sa laine encore humide de la rosée de la nuit. Quand au chat la queue en point d’interrogation il avait aussitôt sauté sur les tomettes rouges et explorait son nouveau terrain de chasse. J ’étendis notre petit tapis sur un fil de fer qui courait d’un bout à l’autre de la buanderie, comme si de rien n’était pour ne pas éveiller l’attention d’une voisine éventuelle. Quant au chat, il avait déjà choisi la murette la plus exposée au soleil pour se remettre de ses émotions. Tout blanc comme un burnous il était d’emblé devenu algérien. Moi je voulais me dérouiller les jambes et du premier coup d’oeil vis que cette terrasse était bien plus petite que
C’est un phénomène bien connu, exactement à l’inverse de l’exploration sous-marine où les petits poissons vous semblent bien gros , les paysages de notre jeunesse à travers les lunettes du temps sont rapetissés comme une peau de chagrin.
De cette terrasse, (l’immeuble d’en face n’ayant été construit que dans la fin des années 50), j’en ai retenu comme premier souvenir la course au trésor de guerre, ces éclats de
Cet escalier avait une rembarde trop basse à mon gout, et je m’y cramponais, ayant le vertige en me penchant vers la rue en aplomb. Ces réduits, de part et d’autres d’un couloir, m’effrayaient. A travers leurs portes faites de lattes de bois gris ajourées, j’imaginais des ombres fantomatiques qui voulaient me saisir à travers ces interstices. Et je courais à en perdre haleine jusqu’à une petite chambre, qui était le but de nos explorations et de nos jeux. A son origine faste, cette chambrette servit de refuge à une Autrichienne et son ami. Une grande femme blonde aux yeux bleus, et aux tresses d’or, ramassées en macaron. Une vraie aryenne tyrolienne. Lui était un laborantin qui avait fui sa Hongrie natale et travaillait à l’Hopital de Mustapha. Son rêve était de produire une recette de jeunesse à base de cellules cultivées dans des oeufs, en laquelle il croyait fermement. (Plus tard je lus les réalisations du célèbre Docteur Niehans en Suisse, sur cette meme idée). Elle, Anna c’était son prénom, s’était réfugiée juste avant la guerre en Algérie, mais étrangère et considérée comme ennemie en temps de guerre risquait tout simplement l’internement . Alors pour remercier notre famille du danger qu’elle nous faisait encourir, (en plus de nos difficultés dues aux Lois d’Exception anti-juives de Vichy de 1941), elle devint ma “gouvernante”.
Cheorches, disait-elle, en me serrant sur son coeur et coiffant mes boucles blondes. Un jour, elle demanda à mon frère de m’accompagner en haut. J’avais bien trop peur de passer tout seul dans ce couloir. Dans la pièce, son Monsieur Ignace, un homme ventripotant aux dents d’or, les cheveux gris coiffés en arrière rangeait des seringues dans une boite de métal chromé et je pensais déjà à un guet-apens. Il n’en était rien. Anna sortit de l’armoire mon petit ours qui ne me quittait jamais la nuit et même le jour et je me demandais comment il était arrivé là. Elle me tendit alors une petite culotte taillée dans un restant de tissu , équipée de bretelles et en habilla mon ourson et le boutonna comme un vrai vêtement tyrolien. Cheorches, c’est pour ton anniversaire et enchanté de voir mon ours enfin habillé, je me jetais dans ses bras. Anna m’adorait; trop au gout de maman, qui s’étonnait de ce dévouement sans borne. Et oui, c’était le secret d’Anna qu’elle révéla à ma mère bien après qu’elle nous eut quitté en légalisant ses relations avec Monsieur Ignace par un mariage : elle était devenue enceinte trop jeune et sans doute avait dû tout abandonner derrière elle à cause de sa famille. J’étais devenu l’objet de son amour maternel perdu à jamais.
Pendant les années sombres où régnaient les restrictions, les souris affamées avaient envahi les maisons, et chez nous dévoraient, faute de mieux, les bourrelets de cotton qui rendaient nos fenêtres en bois plus hermétiques. Anna elle, assise sur son lit, distribuait à ces bestioles au nez pointu, des miettes de son repas. Lorsque dans l’exode de 1962 chacun essayait de sauver ce qui était perdu d’avance et s’occupait égoistement à reconstruire la cellule familliale, nombreux furent les liens qui se brisèrent à cause des distances et des soucis immédiats. Maman revit pourtant dans la banlieue parisienne Anna, qui était plongée dans une semi-misère. Anna est morte sans que je l’ai jamais revue depuis ma jeunesse. C’est un remords que je ne peux effacer. Mon ourson lui est resté dans le tiroir qui était sous mon lit, avec d’autres trésors. A vous de me juger. Cette chambrette plus tard avait été transformée en un bric à brac fabuleux. D’abord il y avait un établi de menuisier, un vrai avec son étau en bois pour serrer des planches épaisses. Et des rabots de toutes les tailles. Même une longue et lourde varlope qui décapait les bois les plus rugueux. Au mur une perceuse à main, peine en rouge vif, le célèbre modèle Peugeot, un vilbrequin que j’avais de la peine à manier, des rapes à bois, des limes à métaux, des lames de scie de tous calibres, des boites de vis et de clous,tous ces outils pour le simple plaisir de mon père qui était un ingénieur et un brilliant intellectuel, mais qui aimait travailler de ses propres mains, à temps perdu. Le seul problème est qu’il n’avait jamais de loisir , et c’est moi et mon frère qui tapaient du marteau et maniaient le ciseau et le maillet en jouant au menuisier et en faisant un tapage infernal dont se plaignaient à juste titre les voisins.
Mais j’y découvris aussi d’anciennes revues de mode, sur papier glacé, en noir et blanc certes, mais avec de superbes photos de réclames de soutien-gorges, des bustiers de “Le Jabby “ qui me faisaient rêver…Tiens, la petite fenêtre qui donnait du côté de la rue Marceau, j’aurai bien voulu la revoir: elle avait été fendue lors du plastiquage de l’immeuble des Contributions. A la grande joie des citoyens, les dossiers s’étaient éparpillés jusque dans les escaliers de la rue Tirman des milliers de pages couvraient les trottoirs de la rue Marceau. La détonnation fut très forte et bien proche de ma chambre sur cour.
Une de plus, une de moins, j’étais accoutumé à ce phénomène musical. Mitraillage et plastiquage étaient alors les deux mamelles de l’Algérie..
De ce septième étage, un escalier intérieur tournicotant débouchait sur le sixième , le dernier arrêt de l’ascenseur. Un ascenseur à cables, de la société Ottis-Pifre.
Mais cet ascenseur étroit offrait aussi d’autres avantages. De ma chambre bleue sur cour, et de ma fenêre grande ouverte, j’étais de niveau avec la terrasse d’une maison qui devait donner sur la rue Tirman. Les jours de lessive, une jeune servante au foulard jaune qui travaillait chez
*(Voir sur Essmma “L’Enfance heureuse au fil de la plume”).
Notre immeuble construit dans les années 30 avait peu de locataires. Au 7ième, le proprietaire Charles Hude habitait avec sa fille, future Madame Collinet.. Au 6ième, occupait tout l’étage un camarade de promotion d’E.S.E de mon père, Monsieur Brulebois. Il était haut et fort de taille et zézayait. Sa femme petite blonde aux yeux bleus était toujours polie malgrès le chahut que nous faisions sur sa tête. Chaque fois qu’il parlait avec mon père j’attrappais un fou-rire irrespectueux. Je lui dois pourtant une fière chandelle. Comme chaque dimanche soir, c'était l'évènement attendu: l'émission policière et le célèbre "tiens, tiens, tiens", de l'inspecteur Pluvier, suivi du bruitage de
Au 3ième étage, les soeurs Guérin , dont une je crois travaillait au Gouvernement Général et ainsi connaissais mon Grand-Père. Le fils pendant la guerre avait contracté le typhus, maladie qui atteint alors beaucoup de foyers.J e l’avais croisé aussi sur Es'mma (guerincc@aol.com) mais sans réponse.
Et c’était son mari qui se dévouait et lui faisait les piqures d’insuline. Lorsque elle mourut, ce fut la première fois que des tentures noires furent accrochées à l’entrée de notre immeuble et je fus très impressionné en voyant le corbillard en bas dans la rue..
Leurs voisins étaient les Franco. Elle, souffrait des nerfs. Chaque fois que je descendais les escaliers en retournant à l’école primaire après l’arrêt de midi, j’entendais les éclats de voix des disputes et même des bruits de vaiselle brisée, à tel point que je dévalais vite les marches pour m’en éloigner.
Au 1er étage, c’étaient les bureaux avec la grande plaque de cuivre “Entrez sans frapper”. Aujourd’hui où la violence est reine, cette phrase prendrait un sens différent !!
Au rez-de-chaussée, le logis des concierges qui se sont succédés. Les premiers furent Monsieur et Madame Juan. Je les ai toujours connus agés.
Je me souviens des après-midi, où lorsque maman étant en retard, je l'attendais dans ce hâvre de fraîcheur qu'était le minuscule logis de
Le dos de cette loge donnait sur une espèce de cour inaccessible.Les jours de pluie,je remplissais des cones de papier journal au robinet de la salle de bains et me précipitais à la fenetre de ma chambre,jetant du cinquième une bombe à eau qui explosait plutot bruyament à coté de ce qui devait etre leur chambre à coucher.
Dans le tout petit hall se trouvait à la fois la cage d’escaliers,l’ascenseur,la porte de la loge de
De notre boite aux lettre en bois vernis,j’en ai gardé un souvenir qui me hante encore.
Du petit hall, un large escalier de quelques marches nous conduit à l’entrée:
Ce soir, je suis trop fatigué pour sortir dans ma rue ,je retourne sur la terrasse rejoindre mes amis. La nuit est vite tombée, sans que je ne m’en apercoive tant j'ai été bavard.
Je m’allonge sur le dos. Les lumières de la ville ne me génent pas pour contempler le ciel. Je peux voir des étoiles filantes et mourantes en quelques secondes. Mais je ne peux dire que rien n’a changé depuis mon départ, je viens de repérer un satellite sur sa longue trajectoire !.