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23 mars 2007 5 23 /03 /mars /2007 12:23

                     

          J'ai encore des cauchemards de ce 26 Mars 1962, et pourtant j'en ai vu des attentats en Algérie et en Israèl !.

            Comme d'habitude, en cette période de changement de saison, (encore une bonne excuse de Docteur pour expliquer mon allergie), j'étais souffrant des bronches.
             Une maladie qui m'a peut-être sauvé la vie. Les jours précédants, raccompagnant ma mère d'un ouvroir, "Les Dames Visiteuses", organisation de charité, j'avais pu voir tourner dans le ciel , comme des mouches, des avions de chasse au dessus de Bab-El-Oued.  Pour les jeunes lecteurs, disons que ce quartier prolétaire était l'équivalent d'un Faubourg St-Antoine de Paris, adossé à la Casbah. La Chasse francaise mitraillait les terrasses ouvrières. De loin,  je n'entendais rien, et ne connut des détails du siège que plus tard.
          Les affiches collées en hâte aux murs pendant le couvre-feu, les attentats, la rumeur publique, les nouvelles vraies ou fausses, les émissions pirates, les concerts de casseroles accompagnaient  les jours et les nuits d'un peuple en colère qui voyait sa patrie se dérober sous ses pieds.
                Toujours est-il que 5 jours (un chiffre porte-bonheur comme une main de Fatma), après le début officiel du Printemps, fut organisée une manifestation de solidarité pour la population de Bab-El-oued, assiégée par les forces de l'ordre.
             A Alger, chaque manifestation converge d'abord vers son coeur, qui est le quartier du Square Lafferière, au bas du Monument aux Morts. Ici, les cris de "A la Bastille !!" sont remplacés par "Tous au G.G*" ainsi du moins le fut le 13 Mai 1958.
            Le 26 Mars 1962, le rendez-vous était devant la Grande Poste, une esplanade vaste où convergeaient des rues aux noms glorieux, Baudin, Michelet, Isly, Bugeaud et autres... De la fenêtre du cinquième étage de la rue Sadi-Carnot, mon poste de guet habituel, où accoudé je passais des heures à mon observatoire pour me distraire et oublier ma poitrine sifflante, je vis ce matin de  Printemps, s'organiser  le cortège  joyeux de passants pacifiques et d'étudiants et écoliers en goguette, nombreux brandissant le drapeau tricolore, en culotte courte et sandales, s'interpellant, reconnaissant des amis et camarades et  tous marchant au milieu de la rue car Alger  était en grève. Les rideaux de fer des magasins étaient baissés, et en face de chez moi, l'immeuble des Chemins de Fer était vide de ses employés, et même  du port ne me parvenaient plus les sifflements des remorqueurs.
        Sous le soleil algérois, les choses les plus graves ne sont jamais sérieuses :J'avais d'en haut, l'impression d'une kermesse. Je vis même de la rue Drouet-d'Erlon déboucher des voyageurs débarqués d'un train à la Gare de l'Agha, se joindre à la foule. Je pouvais suivre des yeux les passants qui montaient la rue Charas et enfilaient le Boulevard Baudin, tout en entendant le reportage à Radio Monte-Carlo, qui était alors la source de nos informations non censurées. Le bruit de la mitraille à la Grande Poste, je l'entendis à ma radio portative, et plus proche de moi, sursautais aux chocs des  ricochets de balles qui martelaient les devantures closes du début de la rue Sadi-Carnot. J'entendis alors les cris de "Halte au feu", enregistrés par Julien Besancon :


http://www.cerclealgerianiste-lyon.org/audio/isly.wav

             Les crimminels avaient agi en plein jour. Quelques minutes après, je vis des passants affolés revenant en sens inverse et je devins un témoin impuissant et terrorisé de ce que je vis: un camion à ridelles chargé de corps ensanglantés qui filait à toute allure et à grand renfort d'avertisseur vers l'Hôpital Mustapha en bout de la longue rue Sadi-Carnot.
           Suivirent des camionettes et autos particulières, leurs chauffeurs agitant éperduement des mouchoirs blancs en dehors des portières. Je ne vis même pas une seule vraie ambulance. Le silence était tombé comme une chappe sur le quartier.
             A la radio, un  appel à tous les étudiants en médecine pour se rendre aux hopitaux, un appel pour les transfusions de sang, un appel au secours censuré qui mettra plusieurs jours pour arriver en France.
             Du bleu, du blanc et du rouge de la France n'en restait que le rouge du sang et de la honte sur les pavés d'Alger.
           Délaissant la fenêtre, mon coeur battant trop fort, je vis sur les murs de la chambre de mes parents, une orgie d'arc en ciel qu'un face à main  biseauté réfractait d'un rayon de soleil.
           Je ne pus soutenir ce phénomene merveilleux et incongru et retournai le miroir, en signe de deuil.
          Mon père avait essayé le soir de parler en anglais avec la direction du "New-York Times" pour qu'il diffuse la vérité sur le massacre. Il fallait pourtant que la vérité soit connue et traverse la mer.
       "Il y a , épinglées aux arbres, des listes de Héros", ainsi, j'avais commencé à rédiger ce que je vis en allant le lendemain sur les lieux du Crime. Les troncs des ficus étaient devenus des poteaux de fusillés. Des listes de disparus y étaient piquées. Leurs cadavres furent jetés péle-mèle à la morgue. 
     Le Plan avait réussi, et fut cloué ce jour- là le cercueil de l'Algérie Francaise. Tout a été filmé, photographié, enregistré, mais nous resterons pour combien de temps des "profiteurs esclavagistes et des colonisateurs cruels", pendant que les porteurs de valises et de bombes écrivent leurs mémoires de "résistants" ?.
       Plus tard, la vérité que nous crions sur les toits depuis cinquante ans se fera entendre, mais nous ne serons plus là. L'Histoire s'écrit lentement, comme le vin qui dépose sa lie.

        Le "Massacre de la Rue Transnonain" a été immortalisé par Daumier.

     Celui de la Grande Poste d'Alger attend encore à la  grande porte de l'Histoire.


       *"GG" :L'immeuble du Gouvernement Général.
         N.B.Merci au Cercle Algérianiste à qui j'ai emprunté cet enregistrement.
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commentaires

C
J'ai épousé un pied noir,son passé et sa guerre. Guerre contre sa douleur encore vive. Dans le Pas-de-Calais nous avons accueilli ces français d'Algérie. Comme ils nous ressemblaient. La joie de vivre, les grandes rencontres familiales, la musique...abandonnés d'une partie des français, mais accueillis par ceux qui connaissaient la vraie vie, celle où il faut se battre pour survivre...
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L
j'en ai les larmes aux yeux....en 62 j'étais bien à l'abri en ardèche et pourtant par la suite  j'ai connu tellement de rapatriés qui en dépit de toute leur souffrance avaient gardé chaleur et gaieté que leur  guerre est devenue  la mienne
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G
Georges, ce texte ...je ne trouve pas de mots...il va chercher au fond de nous toute la douleur comme le cri de munckDites moi si les couleurs vous plaisent, lon peut changer ...A+Gaby:0059:
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G
Merci Gaby ,ce modeste message est un cri du coeur,de tous nos coeurs qui ont battu ensemble,et  que je n'ai pas voulu romancer.

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