Dans mon quartier, fleurit chaque été avec la même exubérance un arbre dont je ne connais pas le nom latin (1) mais qui avec la fournaise de ce mois d'Aout, laisse choir sur le trottoir ses fruits, de ces gousses noires semblables à de petites souris qui font le jeu des enfants.
(Photo Rémy Laven, Jardin d'Essai d'Alger avant 1962)
Les fleurs en forme de clochettes ont des pétales oranges qui jonchent le sol avant de se dessécher. Et le matin le balayeur a fort à faire pour nettoyer ce tapis si agréable à l'oeil, mais dangereux pour le passant.
Généralement ces employés municipaux sont des immigrants plus très jeunes, russes ou éthiopiens qui trouvent dans ce métier de misère de quoi vivoter d'un humble salaire. On reconnaît aux modifications apportées à la pelle fournie par la municipalité, le génie inventif de son possesseur, car un outil ergonomique facilite le travail !
Ce matin, en attendant patiemment à l'arrêt de mon autobus avec d'autres futurs passagers, j'ai eu tout le temps d'observer un contractuel inhabituel : il tenait son balai d'une main, et de l'autre avec son poignet bandé, il remplissait sa pelle avec de petits gestes avares. Manifestement il souffrait de son articulation en poussant le manche. Il progressait dans son travail à petits pas et ses mouvements étaient si mesurés qu'il n'aurait jamais terminé sa tache avant une nouvelle chute des fleurs. Soudain se détacha du groupe un jeune homme, s'approcha du balayeur et sans un mot doucement prit le balai de paille pour le pousser et partager ainsi le travail à deux.
Comme l'autobus s'approchait, je ne pus me retenir de déclarer naïvement mon appréciation à ce volontaire pour l'aide apportée à ce travailleur handicapé par de l'arthrisme.
- Bravo, lui- dis-je, pour votre beau geste !
Et il me répondit , assez sèchement en me remettant à ma place comme si j'avais dit une énormité:
-Mais monsieur ! C'est lui que je dois remercier de m'avoir permis de l'aider !
Les jours suivants, je rencontrais dans le même secteur un employé qui, la cigarette au bout des lèvres, énergiquement poussait les brindilles et les débris pour en remplir son chariot. Le pauvre éthiopien avait disparu de la rue. La Nature a horreur du vide, le monde du travail aussi. L'invalide, sec et maigre au crépuscule de sa vie avait été remplacé. Il n'aurait pu que jalouser cet arbre au déclin de sa floraison en fin d'été, mais qui, lui, se préparait à s'endormir pour mieux refleurir au Printemps.
(1) Un compatriote, Rémy Laven, dans son précieux reportage sur le Jardin d'Essai d'Alger précise l'origine de ces fruits que je ramassais aussi dans les allées de ma jeunesse. Moi, j'associais ces coques à des caravelles ! Ce sont dit-il :
"Les fruits de Brachychiton (Sterculiacés), originaire d'Australie"
http://remylaven.free.fr/
J'ai grandi à Alger chez mes parents au son des harmonies des grands classiques, que ce soit penché à coté de la seule radio, ou assis près de l'électrophone (2), ou en rêvant tout petit sous le piano maternel, blotti contre la lyre.
La musique orientale diffusée par les émetteurs de Radio-Alger en arabe ou en kabyle était dans mon innocence réservée à notre épicier mozabite du marché Clauzel, qui trônait sur son haut tabouret derrière sa caisse rue Cabot, au milieu des papiers tue-mouches qui descendaient du plafond...Ou encore celle qui baignait l'obscurité bleutée des fumeries de ces cafés-maures que nous croisions les jours de Fêtes Hébraïques quand nous allions très loin à pieds à la petite synagogue de la rue Scipion-Manus, au bas de la Casbah, à l'angle de la rue Bab-Azoun. Nous habitions le centre de la ville, proche de grandes voies droites bordées de magasins modernes, semblables aux rues parisiennes. Des fenêtres largement ouvertes en été, s'échappaient les voix de Tino Rossi, Luis Mariano, et les airs triomphaux de Carmen de Bizet, ou les Symphonies de Saint-Saens qui lui-même habita Alger pour soigner ses poumons malades.
Avec l'adolescence, Bill Healey et son orchestre, Ray Ventura, les Platters et bien d'autres me tournèrent la tête d'abord à 45 puis en grand 33 tours...Mais dans mon quartier point de cette musique où le Oud est l'instrument principal.
Quand Jean A. fit sa Bar-Mitzva, ses cousins et amis furent invités à la villa de St-Eugène pour y célébrer sa fête. Je me souviens y être venu seul en autobus. A l'entrée, une superbe bicyclette, le cadeau de ses parents, faisait l'envie de tous les enfants et nous évaluions le changement de vitesse, les freins chromés, la lanterne, comme des connaisseurs. Cette villa surplombait la mer du haut de la falaise et des escaliers raides et en lacets dégringolaient jusqu'à une crique rocheuse que caressait la méditerranée transparente et émeraude. Le hall d'entrée était éclairé par des fenêtres aux verres colorés, qui dessinaient sur les murs des ombres mélangées de jaune, vert, bleu et rouge tout à fait algériennes. Dans le fonds du salon , accroupis sur des coussins des musiciens arabes jouaient pour les invités adultes à cette occasion, de la Darbouka, du Oud, avec les sons aigus d'un violon. Une vraie image d'un carnet de Delacroix. Et une coutume que je croyais disparue depuis la totale francisation d'une famille juive moderne. Car en deux générations elles étaient passées grâce à la France de la dhimmitude turque en citoyens libres qui accédèrent aux professions de médecins, ingénieurs, dont les enfants étaient cernés de lauriers aux distributions des Prix des Lycées et Collèges.
" L'Orchestre Juif ". Aquarelle extraite du Carnet de Delacroix.
Ce rythme de danse a pour nom "Une Nouba". Remarquez le violon-alto tenu verticalement, et l'arc de l'archet.
Musiciens Juifs de Mogador, (Maroc). Huile de Delacroix (1847)
Ce n'est qu'à l'âge de la retraite, que grâce aux merveilles de l'internet je découvris combien j'avais vécu ignorant des richesses du pays qui m'a vu naître. La musique qu'est le Chaabi avait en Algérie de nombreux interprètes très doués, comme Lili Boniche(4), El Medioni, Reinette l'Oranaise et bien d'autres. Ces airs orientaux au son du Oud très prisés par les populations locales, furent popularisés à l'arrivée en France métropolitaine d'Enrico Macias, dont le beau-père à Constantine était le chantre du judéo-arabe. Hélas, il fut choisi pour être assassiner en plein jour par le FLN qui ainsi précipita le départ des familles juives.
L'enregistrement ci-dessous qui débute par le piano agile de El Médioni (5), est suivi par la voix éraillée du regretté Lili Boniche où les mots en français et arabes sont entrelacés. Cela ne fait qu'augmenter l'émotion qui personnellement m'étreint en écoutant ce chant d'amour pour ma ville dont nous avons été chassés.
Les mots sont simplets, ce n'est pas de la grande littérature, mais ils me bouleversent à chaque fois que je repasse cet enregistrement.
Claude Coquerel : "La Baie d'Alger"(1937)
Boulevard du front de mer avec ses immeubles en arcades
En retrait les cubes blancs de la vieille ville..
Voici cette complainte :
http://www.dailymotion.com/video/x4hgta_lili-boniche-alger-alger_music
Alger ! Alger !
J'aime toutes les Villes,
Un peu plus Paris !
Mais pas comme l'Algérie,
Comme elle est belle,
Alger, Alger !
Que voulez-vous ?
De son coeur
Comme de son soleil
Je ne puis me passer
Depuis l'enfance
Je vis dans ses rues
Sans me lasser
On est épris
J'aime écouter les Villes
Un peu plus Paris
Mais pas comme l'Algérie
Comme elle est belle
Alger ! Alger !
Beaucoup de jeunes gens la regrettent
D'un coup de tête
Où es-tu mon père ?
Où es-tu ma mère ?
Yema !
Mon coeur vous appelle
Il est meurtri...
J'aime les Villes,
Un peu plus Paris,
Et rien n'est comme l'Algérie
Dont je suis épris
Comme elle est belle,
Alger! Alger !
Un autre enregistrement célèbre de Lili Boniche est : "Il n'y a qu'un seul Dieu".
Dieu n'existe (pour moi), que par...son inexistence. Ainsi il est un créateur virtuel supérieur et inaccessible, qui n'a ni forme ni couleur, au nom duquel des Sages ont transmis d'abord oralement et ensuite par écrits des Lois qui sont depuis 3000 ans les règles de vie basiques des hébreux qui si elles sont respectées, évitent aux hommes de se détourner du droit chemin.
Ainsi il est écrit dans la Torah ce précepte universel qui se suffit à lui-même pour nous guider : " Tu aimeras ton prochain comme toi-même". Précepte dont d'autres religions se sont plus tard inspirées....
Ce sont dans des phrases cabossées et naïves que ce chanteur exprime son amour du prochain, et son espoir dans l'égalité des hommes.
Rêver n'est pas un péché dans notre monde en folie....
http://www.youtube.com/watch?
Il n'y a qu'un seul Dieu, il n'y a qu'un seul Dieu !
Toi tu pries assis et moi je prie debout
Que tu sois blanc, ou noir ou café au lait,
Ça ne t'empêcheras pas de faire Olé ! Olé !
Au son de ma guitare, qui fait des échos,
Il n'y a qu'un seul Dieu et nous sommes tous égaux
Mais de toutes les façons
Nous finirons à la même adresse
Tu n'es pas mieux que moi,
Je ne suis pas mieux que toi,
La plus belle des choses, c'est de garder la foi !
Que tu portes la Croix le Haï (3) ou le Voile
Nous nous retrouverons tous dans les étoiles
Refrain..
Il n'y a qu'un seul dieu......
Notes :
1) Le Oud
http://fr.wikipedia.org/wiki/Oud
(2) C'était un électrophone Pathé-Marconi acquis au magasin "Ultraphone" de Monsieur Sylvain Emsellem, 54 Rue Michelet à Alger ! Certes une folie, mais incontournable pour remplacer notre gramophone mécanique nasillard !
Mon père avait reçu du vendeur pour étrenner ce meuble notre premier disque microsillon "Le Concerto de l'Empereur de Ludwig Beethoven, avec Vladimir Horowitz au piano, une exécution inoubliable, que j'ai écoutée tant de fois à en faire sauter le saphir des sillons...!.
http://www.allmusic.com/album/tchaikovsky-concerto-no1-beethoven-concerto-no-5-emperor-mw0001814845
(3) Haï : une petite médaille portée autour du cou signifiant "La Vie".
(4) Le Professeur Albert Bensoussan a écrit un bel article sur Lili Boniche qui vient de disparaître, en laissant à ses contemporains un trésor de cette musique judéo-arabe :
http://www.terredisrael.com/lili-boniche.php
(5) El-Médioni avait débuté dans un café de la ville basse que fréquentaient les Alliés après le débarquement de 1942 à Alger. Il était installé au piano-bar et jouait des airs sur des rythmes de rumba très appréciés par les soldats.
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