Été 1967 (1).
Arrivé à Tel-Aviv, je suis allé m'inscrire à l'Agence Juive comme travailleur volontaire, ai reçu une carte numérotée, et n'avais plus qu'à monter dans un camion vers une auberge qui était devenu un centre de tri, là j'eus de la chance car on me proposa de travailler au Kibboutz ou au Sinaï. Je choisi l'inconnu.
A Paris, Israel figurait en bonne place avec des cartes dessinées dans les journaux, et des flèches des mouvements tournants et les noms des lieux des combats. Vu de la ridelle d'un camion le paysage allait bientôt se découvrir sans fioriture. La belle route qui nous emmenait vers le Sud se terminait avec les vergers, les champs de dahlias, et les plantations d'agrumes arrosées par les jets d'eau des tourniquets, au kibboutz de Yad-Mordechaï ( En souvenir de Mordechaï). Là nous fîmes un arrêt pour remplir nos gourdes et surtout pour visiter ce kibboutz-frontière qui avait tant souffert des incursions des fedayins. Mordechaï Anielewicz (2) était le héros qui organisa la révolte du Ghetto de Varsovie et qui périt dans les flammes en 1943 quand lui et ses amis furent à court de munitions. Ce ne pouvait être une meilleure préface avant de découvrir sous l'uniforme les nouveaux héros du peuple d'Israel.
Sa statue en bronze, réplique de celle de Varsovie figure au pied de l'ancien château d'eau du kibboutz criblé d'éclats d'obus lorsque ses habitants durent faire face aux tanks égyptiens lors de la Guerre d'indépendance (3) de 1948.
Depuis, les attaques des fedayins de la bande de Choukeiri (le sinistre prédécesseur d'Arafat) n'avaient cessé de harceler les kibboutzim du Néguev en franchissant la ligne verte. A cet endroit même l'armée d'Israel un mois auparavant attendait dans les tranchées, bandée comme un ressort le début de la déflagration générale. A la sortie de Yad-Mordechaï, une plaque jaune et tordue: Gaza ! La route devint cahoteuse, pleines de lacets, et passait littéralement entre des haies de figues de barbarie. Le camion soulevait une poussière fine et déjà la campagne de Gaza se signalait par ses maisons basses et ses murettes. Des oliviers tout couverts de poudre blanche, des moutons et des chèvres, une agriculture maigre et sèche. Une large panneau publicitaire nous signala l'entrée de la ville: une bouteille verte de "Seven-up", la limonade locale, dont l'usine faisait vivoter de pauvres habitants dont la misère était (et est encore) soigneusement entretenue par l'Egypte voisine et les pays arabes pour déligitimiser Israel. Le centre de la ville était défiguré par des réclames immenses et colorées et des panneaux de toutes sortes dont celles d'agences de voyages, qui bordaient le marché ouvert, avec des lignes téléphoniques et électriques qui courraient un peu partout accrochées à des poteaux en bois. Des taxis Mercedes, des charrettes à pneus tirées par des chevaux aux os saillants, et partout des enfants avec des plateaux de boulanger sur la tête et des étals sur les trottoirs de tout ce qui peut être vendable ou pas. Sur le tout un soleil impitoyable.
Place "Palestine", le camion passa devant l'imposante caserne de la ville de Gaza qui il y a un mois au paravant abritait les milices. Elle tranchait, imposante, sur les maisons basses du quartier. Nous avons continué notre voyage en passant par les agglomérations aux noms tirés de l'obscurité par les combats qui s'y livrèrent comme Khan-Younès, qui lorsque vous en connaissez une, les connaissez toutes. Sortant de la bande de Gaza, nous filèrent vers El-Arish. Les récents effets de la guerre s'offraient à mes yeux horrifiés. Partout des tanks à la tourelle renversée, des canons énormes disloqués, des voitures blindées carbonisées. Le sable était noirci des incendies. Et les munitions vives de toutes sortes jonchaient le sol. Ce ne fut qu'un long spectacle d'épouvante jusqu'à notre but, la base de Bir-Gafgafa en plein centre du Sinaï
L'aérodrome égyptien de Bir-Gafgafa
Les Égyptiens avaient subi une telle défaite qu'il était évident que cette guerre devait être la Dernière. La "Der des Der" comme la France le pensait en 1918.....
Dans ce paysage de désolation, les Égyptiens avaient construit leurs campements dans des cuvettes, sans doute pour être à l'abri des vents de sable,mais aussi pour être mieux camouflés. Il ne restait dans ces trous que des tentes effondrées sur les lits de camp et des réservoirs d'eau criblés. Une seule bâtisse d'un étage révélait le quartier des officiers. Un peu de coté, des tentes de surplus étaient alignées pour nous loger. En essayant de ne pas trébucher dans les cordages qui la tendaient fermement, je déposais mon mince bagage sur un lit de camp. Les flancs de la tente étaient relevés,mais l'intérieur restait brûlant.
Je reçus du "magasin d'habillement" de fortune, l'autorisation de choisir un des uniformes à ma taille: ils étaient tous blancs, car c'étaient des vêtements égyptiens abandonnés...!
Ainsi, du moins au début, je me promenais comme un soldat de l'armée de Nasser.... Mais je n'eus pas à me plaindre, j'avais tout le confort: une douche était installée sous un grand réservoir. Chaque jour un camion citerne le remplissait. Nous déjeunions dans le réfectoire égyptien, attablés avec nos quarts d'aluminium que nous nettoyions comme tous les vrais soldats avec beaucoup de sable et...un peu d'eau. Nous nous levions très tôt pour aller un peu plus loin à ce qui fut une station d'essence: une pyramide de jerricans noircis et déformés par le feu la signalait de loin. Notre travail était de charger des camions de munitions et aussi de remplir d'essence des bidons de 20 litres en bon état, préalablement nettoyés de leurs grains de sable qui s'infiltrait partout, comme on nettoie des verres derrière le comptoir d'un café.
Le problème était la fermeture du bouchon métallique: il était constitué de deux griffes qui en s'enfilant dans leur logement devait maintenir le bouchon hermétiquement clos. Mais chaque fois la fermeture était récalcitrante et c'est avec une pierre que je frappais sur le bouchon du Jerrican rempli de 20 litres d'essence qui ne demandait qu'à exploser à la moindre étincelle !
Il faut pardonner mon inconscience, abruti aussi par la chaleur infernale qui nous entourait. Nous travaillions tous avec ardeur, les volontaires comme moi, comme les moins volontaires qu'étaient de jeunes soldats prisonniers égyptiens. Nous étions cote à cote, occupés sans avoir à nous parler, mais buvions dans la même boite de conserve l'eau chaude salvatrice d'un réservoir sur roues. La sueur immédiatement séchait et nous étions couverts de sel et de poussière jaune. Je peux dire, même si vous doutez de ma sincérité que ce fut une époque magnifique de ma vie.
Le soir, avant qu'ils ne regagnent leur périmètre cerclé d'un simple rouleau de barbelé au milieu du Camp, nous leur faisions entendre bien que théoriquement il nous était interdit de leur parler, de la musique émise du Caire. Leurs officiers par contre, des seigneurs, ne quittaient pas leur camp, se prélassaient toute la journée en lisant des journaux, un foulard blanc de soie autour du cou, et leurs chaussures bien cirées et uniformes entretenus par leurs soldats......Un jour, ils furent tous libérés, retournèrent dans leur delta et leur ville, et de vieux réservistes israéliens, des vétérans des guerres précédentes vinrent faire le même travail.
Ils avaient reçu dans leur équipement des fusils Tchèques flambants neuf à la crosse de bois jaune, qui étaient désuets pour une guerre moderne. Un réserviste même se promenait en savates de plage, ses pieds gonflés ne pouvant entrer dans les chaussures hautes. Un autre était complètement édenté...
Tous avaient été mobilisés pour permettre aux jeunes soldats des activités plus guerrières. Je vivais au milieu du microcosme israélien. Je côtoyais un condensé de la population israélienne. Certains démunis, allaient en permission avec dans leur bagage qui une couverture égyptienne, qui une boite d'olives en conserve de l'armée.. J'étais ému par ces larcins qui expliquaient bien des choses sur la pauvreté de certains israéliens sans travail à cette époque. Être mobilisé était une chance pour eux de manger à leur faim et d'être payés de quelques lires par l'État.
Les jours passaient très vite malgré la monotonie du travail car je sautais de temps à autres m'asseoir dans la cabine du chauffeur pour l'accompagner dans ses livraisons dangereuses d'essence ou de munitions dans de petites bases éparpillées jusqu'au Canal de Suez. J'avais un peu perdu la notion du temps dans cette solitude quand le proche Jour de Kippour se signala à nous avec la nécessité de construire rapidement un oratoire précaire mais digne de ce nom pour les soldats. Les derniers arbres qui poussèrent dans cette région étaient morts depuis déjà quelques milliers d'années, et le seul bois visible était celui des épineux que le vent roulait en boules folles dans le désert. Le Rabbinat aux armées nous envoya à temps un chargement de planches et ainsi nous construisîmes une baraque, meublée des bancs empruntés au réfectoire égyptien. La veille de Kipour un Rabbin de Tsahal y déposa une petite armoire avec les Rouleaux de la Loi. Ainsi naquit à Bir-Gafgafa une nouvelle Synagogue après quelques deux mille ans d'errance. Les réservistes, presque tous chefs de famille, et qui n'avaient pas eu de permission s'y pressèrent et y récitèrent les prières avec émotion.
Ce jour d'abstinence, chauffé à blanc dans ce désert de pierrailles fut pour moi l'occasion de me promener dans cette solitude biblique sans souffrir du tout de la soif, tant j'étais plongé dans mes pensées en me souvenant du Kipour d'Alger en famille dans la petite Synagogue de la rue Scipion, dans la basse-casbah.
Photo remarquable (extraite du site Zlabia) de la Synagogue de la rue Scipion.
Derrière la ferronnerie, le vitrail de l'Étoile de David.
Nous y en avons été chassé en Juillet 1962, et bien voila ironie du sort que cinq ans après je me coiffais d'une Kippa en plein Sinaï où mes lointains ancêtres avaient tourné en rond quarante ans sous le commandement de Moise.
Pendant que les fidèles récitaient les liturgies, moi qui avais de tout mon coeur aidé à bâtir l'oratoire, je cherchais de beaux silex, et retournais prudemment les pierres du bout de mes souliers pour les remettre en place lorsque je découvrais un nid de jeunes scorpions.
Je préférais la solitude pour essayer de retrouver le passé .
Lorsque le soleil se coucha derrière les collines, commencèrent les concerts des hyènes, des chiens sauvages et des chacals tapis le jour dans leurs caches. Le ciel se piqua d'une multitude d'étoiles scintillantes. Les sentinelles reprirent leur garde plus au sérieux. Et moi rompis ce Jeûne inoubliable à la même heure que mes parents en pensant aux délices qui nous attendaient autour de la table familiale.
Vendredi , 16 Septembre 2010, début de Yom Kipour 5771.
Une grêle de rockets s'est abattue sur le Néguev. Guilad Shalit passe dans un cachot au secret à Gaza sa cinquième année d'otage dans l'indifférence de la Croix-Rouge et autres organisations humanitaires (à sens unique). Des palestiniens souhaitent faire d'Israel un état bicéphale pour mieux l'engloutir. Le Hamas de Gaza, le Hezbola du Liban, en choeur avec Téhéran appellent à la destruction totale de l'État d'Israel et la création d'un état palestinien du Jourdain à la Méditerranée. C'est la Paix à la mode nazie. Plus que jamais il nous faudra donc rester sur nos gardes pour protéger l'avenir de nos enfants, même au prix d'être accusés, nous les juifs, de nous défendre.
Notes :
(1) La Guerre des Six Jours:
http://www.terredisrael.com/ISRAEL_Hist6Jours.php
(2) Portrait d'Anielewicz :
http://www.jewishvirtuallibrary.org/jsource/biography/Anielevich.html
Un aperçu sur la guerre du Néguev en 1948 :
(3) http://www.jewishvirtuallibrary.org/jsource/History/Negev48.html