15 mai 2014
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" L'heure, c'est l'heure, avant l'heure, c'est pas l'heure ; après l'heure, c'est plus l'heure. " ( Jules Jouy ).
Depuis l'âge de raison, je suis un obsédé de l'heure.
A l'École communale déjà, je m'y présentais presque toujours une demi-heure avant que la concierge ne vienne faire grincer le portail. Certes c'était aussi pour jouer avec mes petits camarades et échanger des bandes-dessinées, mais surtout par peur d'être en...retard et de trouver la porte de fer refermée sur la liberté par l'inflexible Gardienne ! Plus tard je reçu un bracelet-montre dont je vérifiais souvent le cadran en le comparant à l'heure affichée dans les vitrines sur mon passage..
.Et que dire des examens ? La montre posée devant-moi, m'empêchait de me concentrer sur ma copie et accélérait le "posez vos porte-plume" fatidique !... Quant à mon service militaire, la peur de ne pas être prêt, rasé et harnaché à l'appel très matinal, découpait mon sommeil en fines lamelles pour consulter mon bracelet..Beaucoup plus tard, vivant à l'heure de Paris, je continuais à me réveiller plus tôt que nécessaire, pour ne pas rater le transport du personnel qui m'éloignait de cent km de la Capitale. Pendant l'Exil, ce sont les tintements d'un proche clocher auquel je m'étais d'ailleurs agréablement habitué, qui me rappelait que le temps ne fuit pas silencieusement. Mon bracelet de cuir, brûlé par le soleil s'étant coupé, ce fut une bonne occasion pour moi de me libérer une fois pour toutes de cette contrainte temporelle et de mes réflexes incontrôlés qui me faisaient regarder l'heure sans nécessité....Pourtant, à l'époque de mon sérieux premier-rendez-vous à Tel-Aviv, je ne pus résister de venir deux heures à l'avance à la hauteur de la "Librairie du Foyer", (quelle prédestination !), pour attendre ma future fiancée, qui elle, avec une nonchalance israélienne, arriva deux heures après l'heure fixée pour notre rencontre...Ce qui sur l'échelle du temps s'équilibrait enfin ! Et ainsi j'avais prouvé au moins par ma patience mon sincère attachement !
La Librairie du Foyer
Mais il faut le dire, grâce aussi à la devanture de cette Librairie française où étaient exposés les derniers Prix Littéraires parisiens....
Pas plus-tard, qui hier, j'étais assis sur un des bancs de pierre sur cette même place, qui offrent aux promeneurs le repos musical des jets d'eaux s'égrenants en mille perles de la fontaine du sculpteur Yaacov Agam. Faisant semblant de lire mon journal déployé pour ne pas attirer les regards des promeneurs, j'aime observer les allées et venues de tous ces passants, à qui les pigeons gloutons ne cèdent le pas qu'à la dernière seconde pour s'envoler et revenir en planant picoter les mies de pain que les enfants leurs distribuent.
Voici un jeune homme "Punk", à la chevelure de Porc-épic, avec des chaînes accrochées à sa ceinture cloutée qui brinquebalent en cadence. Il croise une soldate qui porte en bandoulière outre son fusil automatique, ses achats dans un sac peu militaire à l'emblème de chez Castro ! Une descendante altière de la Reine de Saba, à la peau cuivrée et aux fines attaches traverse la Place. En Éthiopie trouva refuge une des douze tribus dispersées depuis la destruction de Jérusalem par Titus, il y a trois mille ans. Il y a vingt ans encore, la famille patriarcale croupissait dans la plus grande misère physique, mais jamais n'avait oublié d'obéir aux Dix Commandements en attendant le miracle: les avions cargos de Tsahal qui atterrirent en secret dans le désert pour les sauver de l'oppression. Contraste quotidien, une jeune élégante aux talons pointus, le blond chignon tressé à la Slave descend les escaliers comme dans une parade de Music-Hall. Un kiboutznik, le sac au dos et en sandales, découvre la Ville-Blanche...Là, sous mes yeux, défile ainsi l'Histoire d'Israel : suivent leur mère dont la jupe frôle le sol, à la queue-le-leu comme des canetons, les enfants bouclés d'une famille orthodoxe. A la vue de leurs petites Kippot brodées, je me souvins de mes treize ans à Alger.
Ainsi, le jour où je devais aller â l'autre bout de la Ville pour apprendre des rudiments d'hébreu et me préparer à l'examen de ma Bar-Mitswa, je passais sous l'Horloge de l'Hôtel des Postes qui pour moi était la référence de l'heure !
Je souris en pensant qu'il y a cinquante ans passés moi aussi j'arpentais cet endroit en tant que touriste avec des amis depuis longtemps perdus de vue. Avec un peu de chance, il ne serait pas impossible de les croiser ici !
Soudain, une jeune personne vins s'asseoir près de moi, alors que d'autres bancs étaient libres !. Elle n'avait pas l'air assuré d'une citadine, mais plus tôt empruntée avec son anorak par cette belle journée de Printemps. Elle me sourit timidement de toutes ses dents barrées par une brillante prothèse dentaire, et me questionna sur l'architecte de cette fontaine.
Soudain, une jeune personne vins s'asseoir près de moi, alors que d'autres bancs étaient libres !. Elle n'avait pas l'air assuré d'une citadine, mais plus tôt empruntée avec son anorak par cette belle journée de Printemps. Elle me sourit timidement de toutes ses dents barrées par une brillante prothèse dentaire, et me questionna sur l'architecte de cette fontaine.
Car elle-même était étudiante d'une École des Beaux-Arts. -Connaissez-vous la région de Benyamina(1) en Galilée ?. Et bien j'habite dans un village collectif proche de cette localité !.
Je suis d'un naturel peu bavard et n'alimentais pas la conversation qui etait entrecoupee de longs silences.... Soudain elle me demanda si dans ce quartier la location d'une petite chambre était coûteuse ? Un peu sur mes gardes, je lui répondis qu'en effet, ce quartier était très cher. Et après un hochement de tête :
- Connaissez-vous un endroit où l'on sert un plat chaud ? Je lui indiquais de ma main la direction d'un de ces mini-restaurants qui offrent au passant affamé de quoi calmer sa faim avec une "pita"(2) fourrée de croquettes de pois-chiche ....
- Connaissez-vous un endroit où l'on sert un plat chaud ? Je lui indiquais de ma main la direction d'un de ces mini-restaurants qui offrent au passant affamé de quoi calmer sa faim avec une "pita"(2) fourrée de croquettes de pois-chiche ....
- Merci mon bon monsieur ! me dit-elle en se levant, et elle disparut.
J'aurai voulu l'avertir de ne pas se brûler les ailes aux Lumières de la Ville, et de ne pas engager un dialogue avec n'importe quel étranger, mais déjà elle était loin. Merci gentille inconnue de m'avoir rajeuni sans le savoir...Voici un jeune homme "Punk", à la chevelure de Porc-épic, avec des chaînes accrochées à sa ceinture cloutée qui brinquebalent en cadence. Il croise une soldate qui porte en bandoulière outre son fusil automatique, ses achats dans un sac peu militaire à l'emblème de chez Castro ! Une descendante altière de la Reine de Saba, à la peau cuivrée et aux fines attaches traverse la Place. En Éthiopie trouva refuge une des douze tribus dispersées depuis la destruction de Jérusalem par Titus, il y a trois mille ans. Il y a vingt ans encore, la famille patriarcale croupissait dans la plus grande misère physique, mais jamais n'avait oublié d'obéir aux Dix Commandements en attendant le miracle: les avions cargos de Tsahal qui atterrirent en secret dans le désert pour les sauver de l'oppression. Contraste quotidien, une jeune élégante aux talons pointus, le blond chignon tressé à la Slave descend les escaliers comme dans une parade de Music-Hall. Un kiboutznik, le sac au dos et en sandales, découvre la Ville-Blanche...Là, sous mes yeux, défile ainsi l'Histoire d'Israel : suivent leur mère dont la jupe frôle le sol, à la queue-le-leu comme des canetons, les enfants bouclés d'une famille orthodoxe. A la vue de leurs petites Kippot brodées, je me souvins de mes treize ans à Alger.
Ainsi, le jour où je devais aller â l'autre bout de la Ville pour apprendre des rudiments d'hébreu et me préparer à l'examen de ma Bar-Mitswa, je passais sous l'Horloge de l'Hôtel des Postes qui pour moi était la référence de l'heure !
Et puis en continuant mon chemin, arrivais devant les Galeries de France. Je résistais à l'appel du rayon de jouets et continuais mon chemin sans perdre de temps...
Les Galeries de France
Cette carte postale est ancienne, mais rien n'avait changé jusqu'à ce que que ce Grand Magasin soit peinturluré après 1962.
Cette carte postale est ancienne, mais rien n'avait changé jusqu'à ce que que ce Grand Magasin soit peinturluré après 1962.
(Les nouveaux occupants ont recouvert de couleur les si belles boiseries intérieures).
Les grandes aiguilles sur son faux minaret de stuc me réconfortaient en me permettant de ralentir ma course et bifurquer sur l'étroite Rue des Tanneurs, descendre trois marches qui me conduisaient à une petit restaurant fleurant bon le "Barbouche".
Un Barbouche appétissant
Mon Maître était un Rabbin humble, nourrisseur du corps et de l'esprit et surtout très patient envers ce petit garçon qui ânonnait des prières sans toutes les comprendre, le livre saint ouvert sur la toile cirée â carreaux verts... En plus des langues scolaires (anglais,allemand et latin), je découvris les difficultés de l'hébreu. (Jusqu'alors nous lisions en français la Haggadah de Pâques et je balbutiais quelques prières sans rien y comprendre !) .
Alphonse Levy (Marmoutier 1843-Alger 1918)
Rabbin enseignant un enfant
Mon bon Maître heureusement se levait de temps à autre pour surveiller ses marmites qui mijotaient et m'accordait ainsi quelques minutes de repos car les lettres noires dansaient devant mes yeux sans que je puisse les assembler convenablement...Mes progrès étaient lents et augmentaient ma terreur à la perspective de l'examen...Une après-midi, après une lecture passable, il se leva et me déclara reçu et bon pour monter en Chaire, à la date prévue. Mais il réapparut bientôt en tenant d'une main un Coq par les pattes et de l'autre un rasoir tranchant . Il voulut sanctifier mon saut dans le monde des adultes par un saint sacrifice qui devait alimenter aussi son menu du lendemain . Je restais pétrifié sur ma chaise, le coq la gorge tranchée en une fraction de seconde s'échappa dans le restaurant et ne fut repris que lorsque le sacrificateur eut réussit à le capturer sous un seau qui étouffa ce spectacle pénible . Je me souvins alors de la phrase mnémotechnique de non Instituteur : "on ne meurt qu'une seule fois, on se nourrit plusieurs fois"....
C'est à la petite synagogue de la rue Scipion que je lus ma Paracha, mon sermon de respecter et mes parents et ma religion. Je me souviens des lustres de Venise, des plaques de marbre des donateurs, et des brocards qui furent arrachés par les sauvages après 1962. Mes Parents émus et les fidèles drapés dans leur châle de prière m'entendirent lire sans trop hésiter les passages des Rouleaux sacrés que déroulait pour moi le célèbre Rabbin Kamoun. Du haut du balcon en boiseries de Cèdre ajourées, les femmes éparpillaient dragées et sucreries aux enfants. Ce fut un matin inoubliable, sans photos à l'intérieur du Temple, pour préserver le spirituel de la cérémonie, mais seulement une chaude réunion familiale dans le petit appartement de la Rue Sadi-Carnot. J'ai sauvé un cadeau précieux qui m'a accompagné dans l'exode en France et jusqu'en Israel: une carte de visite avec les voeux du Grand Rabbin d'Alger Maurice Einsenbeth.
C'est à la petite synagogue de la rue Scipion que je lus ma Paracha, mon sermon de respecter et mes parents et ma religion. Je me souviens des lustres de Venise, des plaques de marbre des donateurs, et des brocards qui furent arrachés par les sauvages après 1962. Mes Parents émus et les fidèles drapés dans leur châle de prière m'entendirent lire sans trop hésiter les passages des Rouleaux sacrés que déroulait pour moi le célèbre Rabbin Kamoun. Du haut du balcon en boiseries de Cèdre ajourées, les femmes éparpillaient dragées et sucreries aux enfants. Ce fut un matin inoubliable, sans photos à l'intérieur du Temple, pour préserver le spirituel de la cérémonie, mais seulement une chaude réunion familiale dans le petit appartement de la Rue Sadi-Carnot. J'ai sauvé un cadeau précieux qui m'a accompagné dans l'exode en France et jusqu'en Israel: une carte de visite avec les voeux du Grand Rabbin d'Alger Maurice Einsenbeth.
Je sortis de ma rêvasserie et j'attendais la fin de l'après-midi, quand la morsure du soleil se fait moins cruelle, pour admirer la danse du feu et des eaux de cette fontaine tournante se réveillant... en fin de journée à dix-neuf heures. Alors que les mères s'affairaient à rentrer à la maison en poussant les landaus où déjà des bébés s'étaient endormis ivres d'une heureuse fatigue, je vis se rapprocher un couple étrange. Lui, maigre et aux cheveux blanchis portant sur l'épaule un étui à violon, et elle, au visage émacié, une guitare. Ils se débarrassèrent de leurs instruments, déplièrent un trépied, et se passèrent l'un à l'autre une bouteille d'eau minérale. Je pensais que ce couple digne n'était là que pour se reposer, car la placette se vidait de ses promeneurs qui hâtaient le pas. Il n'en était rien. Lui ajusta son veston et sa cravate, elle, déplia son écharpe et commença à vérifier les accords de son instrument en ajustant ses clefs. Il posa sur le sol, grande ouverte sa boite à violon, invitation aux oboles. Ils ne se pressaient pas, sans aucun doute ignorants qu'à sept heures précises du soir, la Fontaine musicale allait ouvrir le concert quotidien amplifié par des hauts-parleurs cachés dans le feuillage des ficus. J'étais affligé de voir leur préparation condamnée à avorter dans les minutes qui allaient suivre car personne ne les entendrait. Je n'osais pas prévenir ces ignorants de l'horaire municipal, qu'allait se déchaîner une partition qui couvrirait leurs notes. Vite je préparais dans ma main ma pièce, prêt à me lever et aller la déposer dans l'écrin rouge aux premières notes de ce duo, dans la crainte que cette Fontaine inconsciente ne commence à couvrir la musique de ces deux artistes qui ne vivaient sans doute que de leur talent ambulant. Angoissé que j'étais à la pensée de leur déception, je ne pus résister aux premiers trémolos du Violon et des griffures de la Guitare à me lever et déposer cette obole qui me brûlait la main et à m'enfuir.
Le violoniste s'inclina poliment pour me remercier de ce bon début qui s'avéra vite sans suite: J'étais à peine au bout de la rue, que les vibrations des hauts parleurs déchaînés, me rattrapèrent, comme une double exécution sans pitié. Les pigeons surpris s'envolèrent, le dîner de mes deux amis d'un soir, aussi.
De toutes les façons c'était pour moi l'heure incontournable des informations télévisées. Attention, l'heure va être avancée,je dois mettre mon réveil à l'heure....
Pour terminer cette ronde des heures, je me promets cette fois ne pas être en avance au rendez-vous de..ma Dernière Heure !
Notes:
(1) Ce village pittoresque nommé ainsi en la mémoire du philanthrope Baron Benjamin de Rothschild, a été fondé par des pionniers qui y plantèrent des vignes au vin célèbre. Plus récemment, ce lieu rappelle l'anecdote d'un Député qui habitait dans cette localité que le train dépassait sans s'arrêter. Cet homme jovial et haut en couleur avait coutume de tirer la sonnette d'alarme pour obliger le conducteur à ralentir son convoi et ainsi lui permettre de sauter du train pour aller chez lui en fin de semaine...
(2) Pita au Homous, n'oubliez pas de l'assaisonner avec de la sauce piquante. Bon appétit...
(3) "Les Beaux Jours de Benyamina"
Benyamina, où je suis une fois passé était à l'origine un village de vignerons. Cette localité a été chantée par Hava Alberstein. La mélodie mélancolique, est aussi celle de nous tous, où que nous soyons :
"J'ai envie de retourner à mes plus beaux jours
Les journées aux pieds nus de Binyamina
Oui je me souviens, tout s'écoulait lentement,
Le soleil n'était pas si pressé
Les gens se disaient bonjour, un ami était un ami "...
Écoutons cette belle interprétation: