- Buffet bas.
- Lycée ou collège (en Argot).
Bonne ou mauvaise lecture, j'en suis le seul responsable. Hélas, je ne peux changer l'Histoire de France.
Vous vous souvenez, avec vos humanités, de ce poème de Lamartine, qui évoquait sa patrie, et moi, j'en souriant amèrement, parce que j'ai ces images en triple qui meublent mes pensées: l'Algérie d'alors, la France et Israel.
"Pourquoi le prononcer ce nom de la patrie ?
Dans son brillant exil mon coeur en a frémi ;
Il résonne de loin dans mon âme attendrie,
Comme les pas connus ou la voix d'un ami."
Maintenant je suis au 20 de la Rue Sadi-Carnot à Alger, au cinquième étage :
Dans le salon de mes parents, j’avais deux places préférées. D’abord, le fauteuil en cuir vert tout craquelé et tiédi des rayons de soleil du matin. Je m’y installais en travers, comme un lézard sur sa muraille et y passais de longs moments de rêverie jusqu’à ce que le soleil au zénith n’entra plus par la grande porte fenêtre du balcon. Lorsque parfois l’après-midi, maman se mettait au piano, je me cachais sous ce vaisseau de palissandre, un demi-queue de chez Gaveau, et m’allongeais sur le tapis, à côté de la lyre du pédalier, avec mon livre préféré, "Klapp la Cigogne" et au gré des aventures de Jacques le Poucet au dessus de l'Alsace,
me laissait bercer par les tristes accords d'une Étude de Chopin . (N0-3 en mi-majeur).
http://www.youtube.com/watch?v
Et quelques fois même en compagnie du petit chien en faïence que j'avais dérangé de son repos sur un rayon de la bibliothèque, pour le nourrir de miettes de mon goûter.
Quand j’étais sûr d’être seul à la maison, j’ouvrais, non sans peine avec ses deux grosses boules de verres, les battants du bahut du salon. Sur l’étagère inférieure était empilée une collection d’Illustrations de la guerre de 14-18. Je les connaissais presque tous et aujourd’hui encore j'en revois les images. L’une m’avait frappé: la réclame pharmaceutique de “l’Urodonal”, où était dessinée une grande tenaille mordant des reins. Et une autre réclame de lampe de poche électrique, ”Leclanché” pour s'éclairer dans les...tranchées (?).
Je suivais aussi les dessins patriotiques et humoristiques d’Henriot. Ce journal était évidement abondamment fourni de photos de guerre, mais elles étaient de mauvaise qualité, en noir et blanc, retouchées, mais des gravures, des peintures et aquarelles en couleurs, très réalistes, les complétaient. J’y ai appris à reconnaître non seulement les uniformes et les décorations, mais aussi la vie dans les cagnas, la boue, les terres inondées où flottaient des casques, et toute la vie des tranchées, l'ancien moustachu et aguerri épaulant la jeune recrue dans les photos d'avant l’assaut, l’ultime coup de gnôle, et après le bombardement des obus, des mines, les paysages dévastés, les forêts squelettiques, partout la mort était là, mais censurée, pas de ventres béants et d'entrailles, de cranes éclatés, mais que des blessés, bien pansés et des prisonniers allemands hagards.
On n'y lisait que des récits de bravoure des Poilus. Et même un grand reportage sur l’équipe d'un canonniers motorisé, qui avait abattu un Zeppelin, tombé en flamme. Il fallait consolider le moral de l'arrière. Les infirmières en cape, les cheveux cachés dans un voile immaculé, promenaient les Grands Blessés dans de beaux jardins. Au Tableau d'Honneur de l'Illustration les photos de héros dans une galerie de médaillons.
Mais sur l’étage supérieur du buffet, devant la pile de disques lourds et fragiles, à côté du gramophone "La Voix de son Maître", reposait un grand fourreau décoré de lanières de cuir, d’où émergeait le manche d’un poignard. Il était très lourd à dégager de sa gaine, et avec son manche et sa garde décorée, il ressemblait à une croix du Sud qui orne la selle des chameliers. C’était pourtant une dague de Zouave, qui avait appartenu à mon grand-père. Je ne saurai jamais comment elle était arrivée là, car de mon grand-père maternel disparu dans la boue de la Cote 304, il ne reste que des photos jaunies et un grand diplôme avec son nom sur fond de l’Arc de Triomphe où sont inscrits sur le fronton ces vers inoubliables de Victor Hugo:
Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie
Ont droit qu'à leur cercueil la foule vienne et prie.
Entre les plus beaux noms leur nom est le plus beau.
Toute gloire près d'eux passe et tombe éphémère ;
Et, comme ferait une mère,
La voix d'un peuple entier les berce en leur tombeau !
(Les chants du Crépuscule)
Henri Weber chantait alors, avec la France entière, le chant patriotique de “Sambre et Meuse’’.
http://dutempsdescerisesauxfeuillesmortes.net/50_chansons/
N'hésitez pas à pousser le volume. Ce chant n'a pas été composé pour conduire la troupe au Combat, et faire lever les Morts de leurs tombes, mais pour remuer au fond d'eux même le patriotisme des foules qui à l'arrière ne peuvent vraiment imaginer l'horreur de cette Guerre.
Que cet air entraînant est loin de la réalité horrible des tranchées. ! Non je ne souris pas en écoutant cette voix éraillée d'un autre siècle.
Je referme ce buffet aux souvenirs sonores, pour ouvrir son synonyme de cinquantes annees plus âgé, le "Bahut".
Alger en 1958 était devenu subitement ...gaulliste ! Les jeunes s'arrachaient à la sortie des Lycées et Collèges les écussons émaillés de la Croix de Lorraine pour les agrafer fièrement au revers de leur veston.
Ces broches étaient la reproduction de celles que nous avions connues en 1943 quand De Gaulle atterit à Alger, devenue Capitale de la France en Guerre. Dès Novembre 1942 avec l'arrivée bénie (pas par tous !) des Alliés, la population dite européenne se dépêcha de découdre son insigne fasciste qu'elle abordait depuis 1940 à la boutonnière,
La "Francisque"
Mais nous étions naïvement en 1958 plein d'espoir que les soulèvements musulmans et les attentats cesseraient avec une réconciliation dont De Gaulle était le ferment patriotique. Ainsi entre autres journaux et feuilles de chou, sortit une édition spéciale créé par les étudiants naïfs des classes terminales, intitulée "Le Bahut". "Notre génération sera celle du grand combat, si nous répondons tous présent, ce sera celle de la victoire", ainsi était imprimé le slogan de cette feuille pleine de fougue, mais éphémère comme l'Algérie française condamnée à mort par celui qui devait être son sauveur !.....
Épilogue:
Pour finir ce sont nous, les habitants français, qui furent après 130 ans de labeur... transbahuter vers l'amère Patrie.
Notes et crédit des illustrations :
Du Temps des Cerises aux Feuilles Mortes:
http://
Le 13 Mai 1958:
http://nice.algerianiste.free.
(Ce texte étant programmé, je ne pourrai répondre rapidement aux éventuels "comme en terre", et m'en excuse d'avance ! ).