Une petite partie de l'Atelier qui avait aussi un portail au fond d'une cour donnant sur la rue de Constantine, avait été, en son temps, une écurie pour les chevaux de course et leurs attelages d'un Monsieur Socias, célèbre sur le terrain du Caroubier. Quand au voisin, un ébéniste d'origine grecque au nom musical de Triandaphilidis, c'est lui qui dans du bois rouge construisit notre librairie à la maison, qui dans mille ans comme le Veau d'Or, sera encore debout, tant ce bois était dur comme de la pierre. Au 1er étage, la petite salle fut un temps le siège de
*Section Francaise de l'Internationale Ouvrière.
Il fallait d’abord terminer les commandes de constructions métalliques, enlevées avec peine lors d’adjudications précédentes. Les dernières étant des ferronneries pour une école de Belcourt. Impossible de fermer l’Atelier sans payer aux banques les emprunts et régler les factures, et les impots. Et quel serait aussi le sort des ouvriers qui ne vivaient que de leurs salaires ?.Alors, chaque matin, malgré les dangers des enlèvements et des assassinats dans un pays en liesse, ivre de sang, mon père venait ouvrir son Atelier.
Un jour non éloigné, s’approchant de la grande porte de fer, il vit une affichette collée à la tole du portail :” Bien Vacant”. En quelques lignes, mon père était une nouvelle fois dépossédé de son oeuvre, exactement comme sous
L’Usine passait sous la coupe du F.L.N. Cette confiscation explicite signée du nouveau Préfet algérien, ne laissait plus de doute sur notre avenir. Il ne restait plus qu’à remercier le Ciel d’être encore vivant, et de plier bagage. Le Comité populaire des ouvriers arabes qui eux n’avaient pas le choix, supplièrent mon père de rester en lui proposant d'être leur “Directeur Technique”.
Comme plus personne des forces de l’ordre françaises,
encasernées, n’était là pour le protéger dans ses déplacements en ville et dans les faubourgs en fièvre, il commença à constituer pour le Consulat de France, des dossiers du fruit du labeur de son grand-père, de son père et du sien comme le conseillaient les officiels qui avaient signé les Accords d’Evian. Est-ce utile de rappeler, que ces accords à peine contre-signés, se diluèrent dans la méditerranée, et avec eux se noyèrent nos espoirs.
Toute une vie s’écroulait.
Il fallut faire un dernier adieu aux morts des cimetières de Sétif, de Mostaganem, de Saint-Eugène, et aux vivants : les ouvriers en larmes; tourner une dernière fois dans les bureaux et les salles de l'Atelier, puis revenant à la maison embrasser de la fenêtre du salon la vaste vue du port, sélectionner les objets qui chacun avait son histoire à raconter, arroser le bougainvillier du balcon, fermer le robinet du gaz, et laisser derrière eux 130 ans d’amour. .
Six ans après, (je ne sais comment cette coupure de journal lui était parvenue ),”Alger Républicain” alors encore autorisé, publiait en première page la photo du “Walli” d’Alger, inaugurant la …réouverture de
Le soleil s'est couché engloutissant dans la mer toute une vie de labeur, de joies et de peines.
Depuis longtemps maintenant, patron et ouvriers sont morts, mon père des soucis d’une vie de combat à travers ce champ miné que fut l’Algérie, les ouvriers rapatriés en France de chagrin, et ceux restés enAlgérie de misère.
Mais j'ai encore le souvenir ineffaçable de l'optimisme qui a guidé mon père qui avait espéré jusqu'aux derniers jours une fin digne de la France, notre mère à tous.
Aujourd'hui, à chaque lever de soleil, où que je sois, je ne peux m'empêcher de revoir cette aube magique qui dorait Alger et éclairait en lumière rasante toute la ville avant de la blanchir pour un jour de bonheur.
Epilogue:
C'est un mot qui n'existe pas dans notre lexique. Il ne peut avoir d'épilogue dans l'Histoire en marche. Seulement, comme mon grand-père qui avait fait le choix de sortir d'Alsace pour rester Francais et était venu s'établir en Algérie, moi après mon passage à Paris, ai décidé un jour d'Embargo en 1967 de monter en Israel, non pas pour poursuivre un combat comme le lecteur pourrait le penser, mais pour vivre librement suivant l'éducation reçue de mes parents et de mes maitres à Alger, une éducation républicaine toute d'amour et de respect.
Le Chat, que j'avais oublié sur notre Tapis Volant et qui s'est passablement ennuyé, mais poliment a écouté ces vingt courts souvenirs :
-Je voudrais rentrer à la maison !!
Alors , Adieu Alger ?
Mais non, ce n'est qu'un au revoir, mes Frères...