L' Honnête Homme
Chaque après-midi j'aime écouter une émission radiophonique, dont le temps de passage à l'antenne est d'ailleurs chaque année de plus en plus court. Des citoyens vétérans lancent des appels pour quêter généralement des bribes d'informations sur leurs familles détruites dans l'holocauste et même d'éventuels survivants ou témoins de leur passé. Pour moi, c'est une leçon d'Histoire à travers ces voix tremblantes qui essayent de retrouver des signes de vie de l'Europe sous la botte nazie. Un lointain cousin, un ami d'université, un compagnon de misère qui auraient survécu à la traque ou au bûcher. Ces auditeurs laissent sur les ondes un nom difficile à prononcer(1), une adresse, un numéro de téléphone, comme une bouteille à la mer.
Mais cette fois, il s'agissait d'une demande ayant pour cadre la ville de Tel-Aviv de cette dernière décade. Un couple d'israéliens qui voulaient passer des Fêtes en famille dans la lointaine Amérique voulut demander un visa de touriste pour y entrer. Habitants à Bnei-Brak, le célèbre faubourg religieux de Tel-Aviv, et n'étant plus très jeunes, ils demandèrent le service d'un taxi pour les transporter au centre de la ville.
L'ambassade américaine se dresse au coeur de la cité, rue Hayarkon. Le chauffeur naturellement en descendant de la colline emprunta la rue Dizengoff, une rue principale très passante, débordante de vie, surtout en ce Jour de Pourim (2).
Pourim est l'équivalent du Mardi-Gras, qui est l'occasion pour les enfants en vacances de se déguiser, d'assister à des fêtes enfantines, de montrer leurs robes en tulle pailleté de la Reine Esther d'un jour, coiffées de couronnes scintillantes, ou de déambuler vêtus de panoplies comme leurs héros de bandes dessinées de cape et d'épée, leurs joues empourprées, avec des moustaches tracées au..cirage noir.
Au carrefour se dresse un grand centre commercial qui enjambe la rue tant il est vaste, à la manière des Galeries Lafayette, mais avec des salles de cinémas en plus des magasins aux vitrines attirantes. Plusieurs feux de signalisation orchestrent le flot des voitures et permettent aux nombreux piétons de traverser en sécurité.
Nous sommes le 4 Mars 1996 (3).
Mais les passants innocents ne savent pas ce que les services de sécurité recherchent hâtivement, ayant reçu mais assez tard un renseignement brûlant: un camion suspect en provenance de Gaza circulerait dans la ville, avec à son bord un terroriste et sa charge mortelle. Cette date n'avait pas été choisie au hasard par les dirigeants du Fatah.
Le chauffeur complice le conduisit vers ce Centre Dizengoff, et poursuivit sa route après que son passager ait choisi de descendre dans le quartier. Son but, choisir une des entrées pour pénétrer dans le complexe et s'y exploser en faisant le maximum de victimes dans ce décor où tout n'est que verrières .
Mais à chaque portail de plein pied avec la rue, veillent depuis la recrudescence des attentats des vigiles qui fouillent les sacs et passent les visiteurs au détecteur de métal .
L'assassin hésite et cherche alors une autre voie pour accomplir son forfait et meurtrir le plus grand nombre de passants. Il pénètre donc dans la foule qui attend des deux cotés du passage protégé principal, traverse avec les enfants au feu vert et la main dans sa poche appuie sur l'interrupteur qui déclenche l'énorme explosion d'une charge de vingt kilogs où sont mêlés des clous à la dynamite.
Après quelques secondes de silence total, une pluie de verres brisés, et les hurlements des blessés. Juste en face, une pharmacie(4) d'où viennent les premiers secours avant le hululement des sirènes d'ambulances qui arrivent rapidement. Le spectacle est hallucinant. Par hasard j'ai trouvé cette photo horrible sur internet. Les débris de cadavres jonchent le sol. Certains brûlent encore. Il faut se mordre les lèvres et regarder ce témoignage, comme il faut se forcer à découvrir les corps de juifs accrochés aux barbelés des Camps de Concentration. Il faut connaître le but de ces monstres du Fatah et du Hamas et maintenant du Hezbola qui refusent à Israel le droit d'exister tout comme le vociféraient Hitler et ses admirateurs.
Sur ce cliché enfumé, un taxi reconnaissable à son enseigne jaune sur son toit, les portes ouvertes par le souffle.
Le mari de ce couple était assis à coté du chauffeur qui fut grièvement blessé et son corps forma un bouclier pour son passager. Son épouse et lui furent aussi atteints par les éclats et évacués vers le proche hôpital Ichilov.
Comme d'habitude dans ce cas aux nombreuses victimes, les ambulances les dispersent dans les urgences de multiples hôpitaux de la ville.
Ainsi maintenant j'apprends de sa propre voix au micro de la Voix d'Israel, le but de son intervention. Depuis ce funeste jour, ces citoyens honnêtes recherchent le chauffeur de taxi, dans l'espoir que rétabli de ses blessures, il écouterait l'émission, pour le rencontrer après quinze ans et... lui régler enfin le prix de la course si tristement interrompue.
Je ne sais pas si son appel a été entendu.
Carrefour Dizengoff et King George en 2010
Rien n'y arrêtera sa vie.
Hier soir, une fois n'est pas coutume, nous sommes allés dans un des cinémas du complexe. Étonnamment, malgré les centaines de chaînes de TV la petite salle était bien remplie. Instinctivement je me surpris à encore promener mes yeux inquisiteurs sous les fauteuils. Une vieille habitude paranoïaque.
Mais peu habitué à fréquenter les chambres obscures, j'eus le temps de voir les gens chercher leurs places en tenant sur leur ventre un énorme carton de Pop-Corn. Fini le déclic de la lampe de poche de l'ouvreuse et la réclame "La pile Wonder ne s'use que si l'on sent sert" de ma jeunesse cinéphile ! Pendant le film quelques téléphones portables sonnèrent. Je n'entendis que ceux de mes voisins immédiats : mes oreilles ayant subi une attaque en règle de la sonorisation. (J'en sortis vivant, quoique presque sourd ).
A la fin du générique entrèrent des femmes de ménage (peut-être d'ex-ouvreuses reconverties) pour nettoyer le sol de ce qui avait échappé à la gloutonnerie de quelques uns. A la sortie je regrettais déjà l'air conditionné de la salle et l'humidité s'empara de l'éponge que j'étais devenu.
Et le film diriez-vous ? Il fut trop long à mon goût, avec tous les kitches méli-mélo hollywoodiens pour faire rire et pleurer les spectateurs, mais très beau avec ses superbes paysages de Chine et les extraordinaires pas de ballets du "Dernier Danseur de Mao".
Il me manqua quand-même la réclame des Esquimaux Gervais,
"Les seuls, les vrais !" que j'attendais à l'entracte au cinéma L'Empire à Alger. Ce bâtonnet à la vanille enrobé de chocolat glacé était le bonheur suprême qui accompagnait l'entracte avant que les lumières ne s'éteignent doucement et que débute dans les éclats stéréophoniques un glorieux Western panoramique.
Notes:
(1) Noms :
A leur arrivée en Israel les patronymes des immigrants étaient quelquefois "hébraisés" par les fonctionnaire de l'État Civil en essayant de les traduire, surtout ceux d'Europe Centrale, ou les changeaient carrément car certains portaient un patronyme ridicule et humiliant affublé par les populations antijuives au fil du temps.
(2) Pourim, sa signification:
http://www.calj.net/pourim
(3) Le 20 Janvier 1996 Yasser Arafat venait d'être élu Président de l'Autorité Palestinienne, lors des premières élections jamais tenues dans les territoires à candidat...unique. Ainsi il célébra sa victoire électorale et son Prix Nobel de la Paix à sa manière, par ces attentats meurtriers.
(4) Sur cette célèbre Pharmacie:
http://kefisrael.com/2010/04/
Bilan du désastre:
Le camion et son passager venaient directement de Gaza. Dans cet attentat périrent 13 passants et 75 furent blessés, leurs corps déchirés par les clous..
Ce même jour à Jérusalem un attentat dans un autobus causa la mort de 19 voyageurs et des dizaines de blessés.
Le nombre de blessés ne comprend jamais la quantité dix fois plus importante de personnes traumatisées et qui sont condamnées à souffrir toute leur vie de maladies de nerfs comme des soldats témoins des horreurs de la guerre.
J'emprunte souvent ce passage, mais chaque fois avec un pincement de coeur.
Je ne peux que souhaiter que vienne enfin le jour où tous les enfants du monde vivront en paix.
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