2 septembre 2013
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18:00
Si la poubelle du pauvre est pleine d'espoirs déçus, la poubelle du riche est pleine de restes de repas gargantuesques, de fruits blets donc trop mûrs pour les goujats, de cartons de pizzas graissés par le fromage coulant avec des lambeaux de tomates, d'emballages de gâteaux bavants de crèmes, de canettes de toutes les couleurs. En bref, de quoi sauver de la famine des milliers d'enfants à l'abdomen gonflé par la malnutrition, cet oedème de la décolonisation.
J'ai l'habitude, bonne ou mauvaise, de suivre les mêmes trajets dans la jungle de ma ville quand je sors en promenade. Un peu comme la bête sauvage qui se fraye un chemin en empruntant le même sentier. Elle, dans la forêt, moi dans les encombrements de la cité. Mais de dos, vous me reconnaîtrez facilement, avec ma chemise à manches courtes, blanche avec de fine rayures verticales bleues, celle que je préfère le plus parce qu'elle m'amincit, un vrai trompe l'oeil. Et puis je porte un pantalon à poches multiples, très utiles pour y fourrer mes trésors. Une casquette de toile à large visière, (rosie depuis hier par sa récente et mauvaise fréquentation avec un napperon rouge qui a déteint dans la machine à laver), me donne un air de vieux sportif. Elle est décorée de la broderie d'un serpent enroulé autour d'une lance bâton : le caducée de la Pharmacie, un cadeau de mon fils qui a fait son service militaire dans le Corps Médical des Blindés. Ainsi je suis bien protégé, et du soleil, et des dangers éventuels qui ne manquent pas dans la région....
Je ne précise pas non plus le nom de cette rue généreuse qui mène à la mer et que j'emprunte presque quotidiennement ! Et pourquoi tous ces secrets ? Et bien je vais essayer d'en expliquer la cause.
Tout a commencé lorsque mes pas me portèrent vers une célèbre place au nom du fondateur et premier maire de Tel-Aviv, Meir Dizengoff(1). Elle a été surélevée il y a quelques années pour permettre le passage sous-terrain d'une artère à grande circulation. Le célèbre sculpteur Agam(2) y a construit un espèce de mobile, un gâteau cinétique formé de cylindres concentriques colorés au centre d'un bassin. En tournant comme un manège, les teintes des palettes verticales éclairées par des projecteurs s'enchainent et changent suivant l'endroit où le spectateur se trouve. Mais la vraie originalité est que des jets d'eaux verticaux accompagnent en cadence la musique classique diffusée par les haut-parleurs dissimulés dans les arbres. Au coeur de cet ensemble, une longue flamme tressaute en cadence entourée de ce mur liquide. Heureux mariage de l'eau et du feu. Je dois dire qu'au début, cette oeuvre originale n'avait pas été du goût du public...Mais maintenant elle rassemble, à chaque heure pleine, les badauds et les touristes pour admirer avec des "Ah" et des "Oh" cette danse aquatique.
Mais moi, assis sur un banc m'intéresse surtout aux manège des pigeons qui viennent picoter à mes pieds les miettes des goûters laissés par les enfants. Les plus gloutons des volatiles mordillent même les lacets de mes souliers ! Ils n'avaient pourtant pas vu la "Ruée vers l'Or" de Chaplin ! Hélas je n'avais même pas un croûton de pain à distribuer à ces mendigots obstinés au poitrail mordoré et aux pattes rouges...Alors je me suis souvenu d'avoir aperçu sur une murette, comme celles qui bordent ces anciennes maisons basses des années 30 du style "Bauhaus", un petit pain sec.
Car comme vous le savez, les pratiquants qui respectent la Loi hébraïque ne jettent jamais à la poubelle le pain, symbole sacré, qu'ils bénissent par une courte prière(3) avant de le rompre.
Voici deux peintres très différents bien sûr, mais qui pourtant ont en commun le talent de traduire grâce à leur palette, l'humilité et le bonheur et la paix qui rayonnent de ces deux scènes.
Le "Bénédicité" par Jean-Baptiste Chardin (1699-1779).
Chagall (1887-1985),a peint sa soeur Mania coupant le pain (1914).
Je me saisi donc de cette aubaine rassie, avant que le balayeur ne nettoie la rue. Je réduis en fines miettes cette manne et la jetais en l'air, car les pigeons ont une vue extraordinaire, et immédiatement s'envolèrent de leur arbre d'où ils observaient à l'ombre le và-et-vient des passants, et plongèrent en décrivant un grand cercle pour s'abattre dans un formidable battement d'ailes sur ce trésor alimentaire. Ils étaient si gloutons que du duvet flottait sur ce champ de bataille.
Un des jours suivants, c'est un sachet de biscuits qui m'attendait au passage. Certes, il était entamé, mais je ne pus résister à l'envie de goûter de ces petits sablés chauffés au soleil ! Ils étaient délicieux. Je riais en pensant que les chats mêmes les avaient dédaigné et qu'ainsi je pouvais trouver une friandise à chacune de mes étapes...Alors lentement mais sûrement, me transformais en clochard en essayant de me persuader qu'au point de vue hygiénique je n'avais rien à craindre de ma manie...et qu'il était dommage de ne pas profiter de la générosité involontaire des habitants de ce quartier...
Ainsi je goûtais tour à tour dans mes excursions urbaines à des galettes sucrées, des gâteaux secs, et même une fois à un cigare au miel que je sauvais des mandibules d'une colonne de fourmis....
A une autre occasion, je fus attiré par un demi-pain blanc à l'anis. Il semblait m'attendre à portée de main, un peu caché par la frondaison. Ne résistant pas à la tentation, j'en fit mon profit en le glissant dans ma besace. Certes ce pain n'est pas recommandé à cause de son taux élevé de sucre pour les personnes âgées, mais une fois n'est pas coutume ! (Eus-je été Pinnochio mon nez se serait cogné à l'immeuble d'en face !).
N'avais-je pas fais deux pas, que sur l'étroit trottoir, me heurtais à un fort à bras, un ouvrier d'un bâtiment voisin. Je l'entendis demander à son collègue, à la carrure toute aussi imposante, et à la voix de stentor(4), où est-ce qu'il avait bien pu fourrer ce sacré quignon. Il en profita pour en accuser tous les chats du quartier qui se refugièrent en un clin d'oeil sous les autos en stationnement.
Je me sentis alors honteux d'avoir cédé une nouvelle fois à cette tentation qui se transformait maintenant en larcin !.
Je ne pouvais reculer et rendre ce morceau de pain à son propriétaire, ne sachant comment expliquer mon geste à ces deux costauds suants couverts de poussière...
Je mis alors le cap sur la plus proche boulangerie, y acquis un pain de mie, à la croûte dorée, fleurant bon le froment, et revins sur mes pas pour glisser le pain quotidien au même endroit de ma mauvaise action. Hélas les ouvriers n'étaient plus là, occupés un peu plus loin à charger une remorque de débris de plâtras.
Depuis ce jour, confus, je me suis guéri de cette manie clochardesque et regarde en souriant mes amis à quatre pattes du quartier que j'ai voulu imiter un temps.
Si un jour vous venez à rencontrer un chat ou un chien qui s'arrêterait flairer vos souliers pour vous demander de leur dévoiler l'identité de cet humain bizarre qui avait copié leurs habitudes, répondez en hochant la tête négativement et dites leurs bien qu'il avait compris à ses dépends que la gourmandise est un vilain défaut...
Notes:
(1) Meir Dizengoff:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Me%C3%AFr_Dizengoff
http://fr.wikipedia.org/wiki/
(2)Yaacov Agam:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Y aacov_Agam
http://fr.wikipedia.org/wiki/Y
http://en.wikipedia.org/wiki/D
(3) Chez-nous c'est :"Béni sois Tu Eternel notre Dieu, Roi de l'Univers, qui fait sortir le pain de la terre". Chez-vous, c'est le "Bénédicité", ce qui est du pareil au même à quelques milliers d'années de distance...
(4) Stentor est un personnage de “L’Iliade“ de Homère. C’est un guerrier grec dont la voix “d’airain” lui permettait de crier “aussi fort que cinquante hommes”. La déesse Héra utilisa la force vocale prodigieuse de Stentor pour stimuler l’ardeur et le courage de l’armée grecque lors du siège de Troie. La légende dit que Stentor succomba, plus tard, lors d’une lutte vocale avec le dieu Mercure, héros de l’Olympe
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