Ou flâneries d'un touriste dans le Paris de 2012.
Savez-vous pourquoi ce bazar à la Porte de Vanves n'est-il qu'un "Marché-aux-Puces" ? C'est parce qu'il y a bien longtemps :
Un Pou et une Puce
Sur un tabouret
Qui jouaient aux cartes
Le pou a gagné !
La puce en colère,
De cette trahison,
Le jeta par terre...
Et lui crêpa le chignon !
Cette chansonnette nous la chantions mon frère et moi quand nous jouions au jeu de cartes de la "Bataille". Comme il y avait toujours un perdant, la partie se terminait aussi mal que la comptine....
Alors j'ai commencé mes flâneries en remontant lentement la Rue Marc Sangnier.
Dans ce quartier rouge, vous oublierez le vouvoiement, car nous y sommes en pays de "prolos" !
J'ai tout de suite été attiré par ce jouet fabriqué par la firme Marklin: une machine à vapeur que je comptais parmi mes trésors dans ma chambre bleu à Alger. Je réchauffais la chaudière avec une pastille d'alcool solide "Méta" et le piston poussait la bielle et le volant se mettait à tourner, comme dans une vraie locomotive ! Cent fois je l'avais démonté ce tiroir à piston pour en changer le segment en cuir et même poussé les feux à la faire éclater ! Je me sentais mécanicien de locomotive et avec le charbon des allumettes que j'allumais en quantité, je m'en barbouillais les joues comme un ersatz de suie....
Mais que fut le passé aventureux qui habita ce crane à la mâchoire défoncée ? Le résultat d'une rixe dans les "fortifs", du temps quand cette Porte était à la limite de Paris la Zone des mauvais garçons, ou un Versaillais ou un Communard ? En tout cas ce crane, au lieu de s'ennuyer au fond d'une fosse commune, alimente sinistrement la curiosité des passants qui le dévisagent.
Ce serre-livres décharné est lui, aussi curieux qu'épouvantablement laid. Bon pour ranger les livres d'un médecin légiste....
Cette dame, qui n'est pas au Bois de Boulogne, se protège du froid matinal avec des fourrures qui cachent savamment sa nudité..
Le propriétaire de cet étal où foisonnent des objets ne semble pas satisfait d'être photographié. J'aurais bien jeté mon dévolu sur son Polichinelle de métal,et l'emporter si je n'étais pas en voyage.
Un instrument de musique pas trop cabossé qui a du faire les beaux jours d'un orphéon.
Les gravures en couleurs sont des feuillets détachés ( sacrilège!) de livres en plus ou moins bon état, et ainsi qui se vendent plus facilement au passant pour les encadrer....
De jolies poupées aux têtes de faïences. Mais moi j'ai surtout aimé cette maquette de voilier à quatre mats, si bien détaillée avec ses cordages compliqués et l'accastillasse miniature dont les canons à boulets.
Des boites originales de "Méccano" ! Notre regretté Père nous avait offert un sachet de ces pièces de métal laqué qui permettent aux enfants imaginatifs de se fabriquer un jouet, quitte à le démonter pour en créer un autre. Un jeu inégalé pour développer la coordination manuelle et concrétiser des inventions. Dans les années de restrictions, mon père qui trouva ces pièces peintes en bleu, alors très rares, fabriqua lui-même deux boites en bois pour mon frère et moi. C'était pour nous les offrir pour "Hanouka" qui coïncide avec Noël. A court de temps, il ne lui resta que la veille au soir pour se lancer dans des travaux de menuiserie. Nous l'entendions scier et clouer des lattes très tard dans la nuit ! Le matin nous fut offert ce jeu de construction dont les écrous et vis étaient rangés soigneusement dans leurs compartiments. Un merveilleux souvenir. Quant aux voisins polis, qui ne purent sans doute pas fermer l'oeil dans les bruits de marteau clouant le bois dur, ils se rattrapent maintenant en dormant d'un sommeil éternel...
Des wagons dépareillés de mon époque: du temps où ils étaient fabriqués en tôle étamée peinte. Depuis les créations en métal fondu ou plastique moulés sous pression, permettent des détails très fouillés. ....Mais très superfétatoires pour l'imagination créative enfantine. Avouons-le, ces merveilles sont produites surtout pour les adultes connaisseurs et riches collectionneurs qui les mettent sous cloche à l'abri de la poussière et des petites mains potelées...
Mais qu'en est-il devenu de la poésie du toucher ?
Vitrier ! Vitrier ! Voici comment il transportait avec un harnais son fardeau sur son dos. Appréciez ce bandeau de cuir qui devait cerner son front pour l'aider à porter sa charge fragile.
Une chaise cannelée aux attaches si fines que je n'aurai jamais osé de m'y asseoir de peur de la briser.
Un souvenir peint à l'huile ( assez naïf d'ailleurs ) du Sud algérien ! Des soldats en chéchias, gilets brodés et pantalons rouges se promènent devant une mosquée....Ce n'est pas ici que le flâneur découvrira un Dinet égaré...Mais peut-être qu'un algérien en mal du Pays, l'emportera pour l'accrocher chez-lui.
Ce personnage qui aurait pu être celui d'un acteur de théâtre, est le musicien de ce marché. Il semble assez ignoré des passants qui essayent de dénicher une trouvaille à leur goût. Son piano a des sons d'un autre temps. Les pièces dans le panier en osier sont rares. Il doit pourtant s'efforcer d'en accumuler assez les beaux jours pour passer l'hiver. Vu son visage ravagé, ce doit être la disette perpétuelle...
L'artiste vénérable joue sur un piano crasseux, aussi fatigué que le siège qui tient grâce à du ruban adhésif. Remarquez le piano équipé de roues en caoutchouc pour faciliter les déplacements...Chaque Samedi et Dimanche, il accompagne de ses notes plus noires que blanches, les visiteurs. Je ne sais s'il doit payer une redevance à la Ville.
C'est une misère à roulette. Question de mobilité, comme l'étal de Crainquebille pour circuler eventuellement sur l'injonction d'une Pèlerine. Comme les vendeurs à la sauvette qui cachent leur gagne-pain dans un parapluie.
C'est à la fois une misère de la musique, et la musique de la misère....
Ce Biplan est assez bien conservé. Il ressemble fort à un "Spad", cet avion remarquable de la guerre de 14-18. Contrairement au "vrai" en bois et tout entoilé, cette maquette est en tôle emboutie.
Il lui manque la mitrailleuse montée au centre sur l'aile supérieure, là où se trouve l'encoche arrondie. Ce n'est que sur les plus nouveaux modèles de "Spad" que fut installée une mitrailleuse tirant à travers la rotation de l'hélice grâce à un ingénieux système de synchronisation. Encore un objet que j'aurai bien souhaité emporter avec moi...
Le toutou est bien silencieux, rêvant sur ce canapé, et pour cause, car il est bourré de paille...
La haute chaise cannelée pour bébé, est à combinaison: droite pour donner à l'enfant son repas, ou pliée pour la transformer en table de jeu avec sa chaise ! J'en ai connu une semblable avec son boulier ! Un jour, j'étais déjà en âge de sortir tout seul de ce meuble ingénieux, et je ne sais pourquoi, à la fin du déjeuner je me suis approché à quatre pattes avec une fourchette à la main de la prise électrique dans la salle à manger et y piqua cet ustensile tout en métal. Le Dieu de l'électricité eut pitié de moi et ne m'infligea qu'une violente secousse à 110v dont j'en ai encore le souvenir cuisant.
Encore une belle maquette en bois : celle d'un "Thonier de Concarneau" (?).
Circulant entre les étals, et contemplant avec des yeux de connaisseurs des objets de l'Extrême-Orient, j'ai croisé un beau couple de Japonais habillés traditionnellement et comme descendus d'une gravure. Je n'ai pas compris s'ils étaient simplement des élégants où déguisés là pour attirer les badauds . De toutes les façons je leur ai demandé en mauvais Anglais (..ils m'ont répondu en bon français !) de bien vouloir poser pour un cliché pas du tout de couleur locale !
Banzai ! Qu'elle est troublante cette Geisha en Kimono !.
Un plateau de soldats en aluminium finement peints. Moi je n'eus que des soldats en plomb écaillé qui ne tenaient plus debout, sans doute épuisés par les guerres successives...Alors je les avais remplacé par des pièces de monnaies de différentes tailles qui avaient l'avantage de pouvoir être alignées sur le tapis de ma chambre bleue...Je fronçais le tapis de haute-laine pour en faire des montagnes où partaient à l'assaut les pièces trouées à l'effigie de la francisque de l'Etat-Français (!!). Ce n'est que plus tard qu'en fin je pus organiser mes combats vainqueurs avec de lourdes pièces jaunes de 2 Francs frappées par les Américains après leur débarquement triomphal en Algérie en 1942...
Des couverts dépareillés et des objets en faux ivoire, et une horloge ancienne à ressort.
A coté d'elle un très ancien projecteur de film muet 8m/m en état de marche.
Bien-sur, c'est avec ce camion en bois que j'aurai aimé jouer...( Même maintenant, mais ne le répétez-pas !)
Voici une agréable bibliothèque avec ses jolies charnières en cuivre, pour éventuellement ranger mes livres. Je n'ai pas osé en demander le prix, puisque de toutes les façons je ne l'aurai pas acheté !
Mais rêver n'est pas interdit...
Ce cheval à roulettes a du faire la joie d'une enfance gâtée dans les années 20.
Cette gravure patriotique émeut encore et pour toujours. Ces Zouaves épuisés et prisonniers des casques à pointes murmurent :
" Quand reverrons-nous la France ?"
Cette caisse en tôle n'est pas une antiquité ! Elle me rappelle pourtant une semblable peinte en vert, où j'avais entassé mes bouquins techniques pour les envoyer par bateau en Israel . J'avais spécifié au transporteur une adresse de livraison à Ashkelon ( Sud de Tel-Aviv) où je devais m'installer, mais elle arriva au port de Haïfa, c'est à dire 160 km plus au Nord...Je pris donc l'autobus pour me rendre à la ville portuaire. Les bateaux-marchands, l'odeur de sel et les moirage des taches de mazout me rappelaient mes promenades sur les quais d'Alger,
Pour sortir du périmètre ma très lourde caisse, je dus passer à la Douane. Là un employé soupçonneux me fit déballer mon trésor. Ce Douanier décida que je devais payer une taxe à l'importation...Je lui expliquais transpirant et brûlé par le soleil d'été, (car j'avais déjà fait des kilomètres pour trouver l'employer ad-hoc), que ces livres n'étaient pas neufs mais à usage personnel pour mon travail. Comme il faisait semblant de ne pas comprendre, je sortis de mes gonds et l'invectivais : immédiatement il m'enjoint de le suivre au Poste et là se plaignit de ma conduite ! Je me voyais déjà commencer ma vie de citoyen en Israel derrière les barreaux ! Heureusement pour moi, le "supérieur" d'origine marocaine comprenait le français et me rendit et la liberté et mes livres chèrement acquis...
C'était le début de mes pérégrinations et de mes aventures en pays et langue inconnus.
La dernière photo qui n'existe pas:
C'est celle justement d'un appareil miniature tenant dans le creux de la main, fabriqué au Japon. Entièrement mécanique ce bijou photographique était sans doute l'objet de prédilection des espions, du moins ceux des romans policiers. Il était sous vitrine, et accompagné d'un minuscule rouleau de sa pellicule originale. Un objet de collection car son prix atteint celui d'un moderne appareil digital...Mais l'exposant ne me permit pas d'en faire un cliché-souvenir. "Tiens-tiens, tiens, bizarre autant qu'étrange"....comme disait Marcus Bloch dans le rôle de l'inspecteur Pluvier, lors des émissions policières dominicales de Radio-Alger-de-ma-jeunesse !
Ainsi au hasard de mes pas j'ai retrouvé des objets de mon enfance dans ce marché parfaitement tenu dont je remercie les vendeurs qui, pour la plus-part m'ont permis de rapporter ces souvenirs photographiques au delà de la Méditerranée.
Les jours de vague-à-l'âme, j'aime revenir sur ces clichés:
Paris te reverrai-je un jour ?
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