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2 septembre 2013 1 02 /09 /septembre /2013 18:00

Si la poubelle du pauvre est pleine d'espoirs déçus, la poubelle du riche est pleine de restes de repas gargantuesques, de fruits blets donc trop mûrs pour les goujats, de cartons de pizzas graissés par le fromage coulant avec des lambeaux de tomates, d'emballages de gâteaux bavants de crèmes, de canettes de toutes les couleurs. En bref, de quoi sauver de la famine des milliers d'enfants à l'abdomen gonflé par la malnutrition, cet oedème de la décolonisation.
J'ai l'habitude, bonne ou mauvaise, de suivre les mêmes trajets dans la jungle de ma ville quand je sors en promenade. Un peu comme la bête sauvage qui se fraye un chemin en empruntant  le même sentier. Elle, dans la forêt, moi dans les encombrements de la cité. Mais de dos, vous me reconnaîtrez facilement, avec ma chemise à manches courtes, blanche avec de fine rayures verticales bleues, celle que je préfère le plus parce qu'elle m'amincit, un vrai trompe l'oeil. Et puis je porte un pantalon à poches multiples, très utiles pour y fourrer mes trésors. Une casquette de toile à large visière, (rosie depuis hier par sa récente et mauvaise fréquentation avec un napperon rouge qui a déteint dans la machine à laver), me donne un air de vieux sportif. Elle est décorée de la broderie d'un serpent enroulé autour d'une lance bâton : le caducée de la Pharmacie, un cadeau de mon fils qui a fait son service militaire dans le Corps Médical des Blindés. Ainsi je suis bien protégé, et du soleil, et des dangers éventuels qui ne manquent pas dans la région....
Je ne précise pas non plus le nom de cette rue généreuse qui mène à la mer et que j'emprunte presque quotidiennement ! Et pourquoi tous ces secrets ? Et bien je vais essayer d'en expliquer la cause.
Tout a commencé lorsque mes pas me portèrent vers une célèbre place au nom du fondateur et premier maire de Tel-Aviv, Meir Dizengoff(1). Elle a été surélevée il y a quelques années pour permettre le passage sous-terrain d'une artère à grande circulation. Le célèbre sculpteur Agam(2) y a construit un espèce de mobile, un gâteau cinétique formé de cylindres concentriques colorés au centre d'un bassin. En tournant comme un manège, les teintes des palettes verticales éclairées par des projecteurs s'enchainent et changent suivant l'endroit où le spectateur se trouve. Mais la vraie originalité est que des jets d'eaux verticaux accompagnent en cadence la musique classique diffusée par les haut-parleurs dissimulés dans les arbres. Au coeur de cet ensemble, une longue flamme tressaute en cadence entourée de ce mur liquide. Heureux mariage de l'eau et du feu. Je dois dire qu'au début, cette oeuvre originale n'avait pas été du goût du public...Mais maintenant elle rassemble, à chaque heure pleine, les badauds et les touristes pour admirer avec des "Ah" et des "Oh" cette danse aquatique.

Agam Fountain
Mais moi, assis sur un banc m'intéresse surtout aux manège des pigeons qui viennent picoter  à mes pieds les miettes des goûters laissés par les enfants. Les plus gloutons des volatiles mordillent même les lacets de mes souliers ! Ils n'avaient pourtant pas vu la "Ruée vers l'Or" de Chaplin ! Hélas je n'avais même pas un croûton de pain à distribuer à ces mendigots obstinés au poitrail mordoré et aux pattes rouges...Alors je me suis souvenu d'avoir aperçu sur une murette, comme celles qui bordent ces anciennes maisons basses des années 30 du style "Bauhaus", un petit pain sec.
Car comme vous le savez, les pratiquants  qui respectent la Loi hébraïque ne jettent jamais à la poubelle le pain, symbole sacré, qu'ils bénissent par une courte prière(3) avant de le rompre.

Voici deux peintres très différents bien sûr, mais qui pourtant ont en commun le talent de traduire grâce à leur palette, l'humilité et le bonheur et la paix qui rayonnent de ces deux scènes.

Le "Bénédicité" par Jean-Baptiste Chardin (1699-1779).
                                 
Benedicite-Jean-Baptiste Siméon Chardin 003


Chagall (1887-1985),a peint sa soeur Mania coupant le pain (1914).

Chagall-mania-cutting-bread-1914
                                
 
Je me saisi donc de cette aubaine rassie, avant que le balayeur ne nettoie la rue. Je réduis en fines miettes cette manne et la jetais en l'air, car les pigeons ont une vue extraordinaire, et immédiatement s'envolèrent de leur arbre d'où ils observaient à l'ombre le -et-vient des passants, et plongèrent en décrivant un grand cercle pour s'abattre dans un formidable battement d'ailes sur ce trésor alimentaire. Ils étaient si gloutons que du duvet flottait sur ce champ de bataille.

Un des jours suivants, c'est un sachet de biscuits  qui m'attendait au passage. Certes, il était entamé, mais je ne pus résister à l'envie de goûter de ces petits sablés chauffés au soleil ! Ils étaient délicieux. Je riais en pensant que les chats mêmes les avaient dédaigné et qu'ainsi je pouvais trouver une friandise à chacune de mes étapes...Alors lentement mais sûrement, me transformais en clochard en essayant de me persuader qu'au point de vue hygiénique je n'avais rien à craindre de ma manie...et qu'il était dommage de ne pas profiter de la générosité involontaire des habitants de ce quartier...
Ainsi je goûtais tour à tour dans mes excursions urbaines à des galettes sucrées, des gâteaux secs, et même une fois à un cigare au miel que je sauvais des mandibules d'une colonne de fourmis....
A une autre occasion, je fus attiré par un demi-pain blanc à l'anis. Il semblait m'attendre à portée de main, un peu caché par la frondaison. Ne résistant pas à la tentation, j'en fit mon profit en le glissant dans ma besace. Certes ce pain n'est pas recommandé à  cause de son taux élevé de sucre  pour les personnes âgées, mais une fois n'est pas coutume ! (Eus-je été Pinnochio mon nez se serait cogné à l'immeuble d'en face !).
N'avais-je pas fais deux pas, que sur l'étroit trottoir, me heurtais à un fort à bras, un ouvrier d'un bâtiment voisin. Je l'entendis demander à son collègue, à la carrure toute aussi imposante, et à la voix de stentor(4), où est-ce qu'il avait bien pu fourrer  ce sacré quignon. Il en profita pour en accuser tous les chats du quartier qui se refugièrent en un clin d'oeil sous les autos en stationnement.
Je me sentis alors honteux d'avoir cédé une nouvelle fois à cette tentation qui se transformait maintenant en  larcin !.
Je ne pouvais reculer et rendre ce morceau de pain à son propriétaire, ne sachant comment expliquer mon geste à ces deux costauds suants couverts de poussière...
Je mis alors le cap sur la plus proche boulangerie, y acquis un pain de mie, à la croûte dorée, fleurant bon le froment, et revins sur mes pas pour glisser le pain quotidien au même endroit de ma mauvaise action. Hélas les ouvriers n'étaient plus là, occupés un peu plus loin à charger une remorque de débris de plâtras.
Depuis ce jour, confus, je me suis guéri de cette manie clochardesque et regarde en souriant mes amis à quatre pattes du quartier que j'ai voulu imiter un temps.
Si un jour vous venez à rencontrer un chat ou un chien qui s'arrêterait flairer vos souliers pour vous demander de leur dévoiler l'identité de cet humain bizarre qui avait copié leurs habitudes, répondez en hochant la tête négativement et dites leurs bien qu'il avait compris à ses dépends que la gourmandise est un vilain défaut...

Notes:

 
http://en.wikipedia.org/wiki/Dizengoff_Square

(3)
Chez-nous c'est :
"Béni sois Tu Eternel notre Dieu, Roi de l'Univers, qui fait sortir le pain de la terre". Chez-vous, c'est le "Bénédicité", ce qui est du pareil au même à quelques milliers d'années de distance...

(4) Stentor est un personnage de L’Iliade de Homère. C’est un guerrier grec dont la voix “d’airain” lui permettait de crier “aussi fort que cinquante hommes”. La déesse Héra utilisa la force vocale prodigieuse de Stentor pour stimuler l’ardeur et le courage de l’armée grecque lors du siège de Troie. La légende dit que Stentor succomba, plus tard, lors d’une lutte vocale avec le dieu Mercure, héros de l’Olympe

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10 août 2013 6 10 /08 /août /2013 16:07

 

Les matins d'automne de chez nous qui feraient pâlir d'envie ceux de la vieille Europe, les petits oiseaux à gorges rouges sortent de leur torpeur et je ne sais si ce sont les pépiements qui font lever le soleil ou l'inverse mais à cinq heure et quart après le premier roucoulement de mon ami le Pigeon* qui me fait office de réveille-matin "rrou-ou-ouhouh", le chant timide d'un autre musicien inconnu "twitt-twitt" éveille les petites boules de plumes, et chacun s'essaie à la lueur pale que l'on devine derrière les lointaines collines, comme les accords mélangés de l'orchestre avant le coup de baguette magique du maestro. Alors la lumière jaillit, mais moins bruyante, pas comme en été, de par dessus les toits roses, coule doucement à travers les arbres feuillus qui passent des verts sombres aux jaunes rouilles et vient dessiner sur le mur blanc de la chambre les ombres  obliques des persiennes. C'est le coup de grâce de la nuit mystérieuse. Les baguettes fines qui sifflent à travers la pomme de la douche lavent la peau des crasses des mauvais rêves et chassent les odeurs de la nuit. La maisonnée dort encore, le chien à demi-assoupi tourne légèrement sa tête vers moi, et frappe le carrelage de sa longue queue pour me souhaiter la bienvenue au royaume du jour.
Dehors, la rue est encore assez silencieuse pour que je puisse entendre au passage des maisons des pleurs d'enfants qui s'éveillent, des bruits de verreries, et le ronronnement lointain du camion de nettoiement qui pointe au fond de la rue accompagné de l'entrechoquement des poubelles et des interjections bruyantes des travailleurs, toujours en retard sur le programme du chauffeur qui malignement pousse son moteur, pressé de finir sa
tâche pour sans doute en commencer une autre, car les temps sont durs... Les trottoirs encore mouillés de rosée aux jointures des petits pavés rectangulaires me rappellent mes années d'enfance lorsque sur le chemin de l'École, je m'efforçais de ne pas marcher sur les lignes dessinées par les carreaux de ciment, ou de ne pas déranger une colonne de fourmis affairées autour d'un petit cône de sable fin pointant entre deux fentes.
Je bois l'air frais des espaces ouverts et savoure les odeurs des buissons de jasmin et du gazon fraîchement coupé des jardinets, que le vent léger pousse aux quatre coins du quartier, avant que les fumées des camions n'étouffent pour un jour la respiration de la nature.
Je ne suis pas pressé, et je vais en flânant, m'arrêtant pour lire machinalement les titres des journaux à travers les ficelles des paquets jetés à même le trottoir du buraliste en retard. Machinalement, car les manchettes pratiquement les mêmes depuis que je sais les lire, ne m'apportent rien d'optimiste: tension au Nord, tension au Sud. A l'Est rien de nouveau: une famille entière a péri dans sa voiture carbonisée à la suite d'un jet de cocktail Molotov. Je murmure un juron. Je traverse la rue avec un chat noir qui va crocheter dans la poubelle du boucher d'en face.  Moi j'aime surtout fureter des yeux dans la vitrine de l'électricien voisin, bondée de tas d'articles nouveaux, de lampes de bureau, d'interrupteur étanches à la pluie ou temporisés, de gaines colorées, de néons en règles ou en  anneaux, de ventilateurs de table ou sur pied, de brillants rubans adhésifs et aussi des trousses à outils de toutes les tailles à faire rêver les plus maladroits, de prises fonctionnelles et d'ampoules  miniatures garanties cent ans et même de circuits miracles qui allument les plafonniers en un claquement de main !.
Lorsqu'il me reste encore quelques minutes,je fais un détour vers la vitrine de l'Auto-Ecole. Sur une table adossée derrière la grande devanture, bien en vue pour accrocher l'oeil du passant, une maquette de voiture, à la peinture un peu écaillée, et pas très moderne certes, suffit cependant à expliquer capot ouvert, et moteur coupé dans sa longueur, comme un écorché du cours de sciences-naturelles, les mystères de la mécanique. Des ampoules s'allument au rythme du moteur à quatre temps, des ressorts font monter et descendre les soupapes coulissantes, les feux d'ailes clignotent, le volant peut faire pivoter les roues avec une crémaillère la barre des roues  avants, et l'arbre  à joint de Cardan entraîne avec le miraculeux différentiel le pont arrière suspendu au châssis par des lames peintes en rouge. Le pot d'échappement de couleur aluminium, le frein à main, les engrenages en bronze de la boite de vitesse éclatée, le circuit du radiateur à eau, tout est là pour faciliter à la jeunesse le passage de l'examen théorique et pour aussi m'enchanter de bon matin !.....Mais à force de rêvasser je vais rater mon car ! C'est un transport** du personnel. Un autobus où les habitués s'assoient presque toujours à la même place, à coté du même voisin, comme à la Synagogue, par un accord tacite et muet que personne ne songerait à troubler....Moi j'ai choisi un coin à la fenêtre, derrière le fauteuil orthopédique du chauffeur pour jouir ainsi d'une vue panoramique. Je ne suis pas de ceux qui au bruit caoutchouté de la portière qui se referme vont prolonger leurs songes nocturnes, non, ce n'est que gaspillage. Perché au dessus des grandes roues j'ai un champ de vision qui me permet de voir par dessus les murettes et les haies les volutes des balcons en fer forgé de villas anciennes, une belle fenêtre en ogive, un oeil de boeuf croisilloné sous le fait d'un vieux toit de tuiles rouges, un superbe bougainvillier aux fleurs jaunes à l'assaut d'une cheminée de briques, ou les larges feuilles découpées d'un bananier sauvage à coté d'un robinet de jardin, ou même, à travers les voiles d'une chambre aux deuxième étage, une belle ombre  furtive...

Juste avant d'attaquer l'autoroute l'autobus passe  en filant le long du Grand Parc.
Pendant un cours instant je vois à travers les éclaircies d'arbres épineux le grand étang pointillé de hauts échassiers blancs, des Rhinocéros mêlés à une bande de Zèbres se partagent le foin du matin, des Autruches dominatrices se dandinant à pas lents, et tout autour, n'appartenant ni au zoo ni au parc voisin les Cigognes libres planant en cercles concentriques, au dessus d'un groupe de mouettes plongeant pour saisir en piqué un poisson dans l'eau verte de la pièce d'eau, ou s'éloignant à toute volée au sifflement des turbines d'un avion de ligne, allongeant sa descente au dessus de nos têtes. A vrai dire, si je n'étais assis au vu de tous les passagers, je me serai mis au garde à vous pour saluer cette merveille du génie humain. Ces dizaines de tonnes  de métal qui ont traversé les mers et surmonté tous les péril de la nuit, et qui vont se  poser en une idéale tangente sans secousse, comme la cigogne du parc, les pattes tendues en avant, le corps un peu braqué en arrière, les grandes plumes déployées  pour le freinage aérien final. Certes je sais bien que cette coque peinte aux couleurs élégantes peut revêtir certains jours tragiques des mouchetages verts et jaunes et que les valises des touristes, les cadeaux et les parfums, les vins et les liqueurs peuvent faire place à des machines à tuer, des bombes soufflantes ou au phosphore pour mieux brûler, ou de celles qui en descendant se fragmentent en dizaines de bombelettes pour étendre le champ de destruction, ou des engins qui au contact du sol répandent en rebondissant des nappes de liquides enflammés, ou des bombes à retardement qui en s'enfonçant dans dans le sol se font oublier pour exploser beaucoup plus tard, à la demande, pour tuer les secouristes ou ceux qui croyaient que le danger était passé. Il y a aussi,et c'est très intelligent celles qui explosent à une certaine hauteur, au ras des têtes et qui font passer à la remise ces anciennes  bombes idiotes, toutes simples, qui si elles atterrissaient par mégarde sur le ventre n'explosaient pas, et devenaient une dépense inutile, une charge inutile pour l'Etat en somme....
Brusquement tout mon corps est jeté en avant par un coup de frein prolongé et je sens que l'autobus part en oblique, en roulant sur son bord comme un bateau ivre, il finit par se stabiliser et regagne la ligne droite comme si de rien n'était, les passagers somnolents n'y ont rien compris, les autres retournent à la lecture de leur quotidien. Par humour et parce que comme vous le savez aimons rire de nos malheurs depuis des siècles, nous le surnommons "La Pravda" !  Le chauffeur rit nerveusement et change la station de radio qui commençait à diffuser une musique classique légère et à plus de cent vingt  km/h passe à la hauteur d'un camion citerne avec sa remorque qui danse en chassant les graviers du remblais, pour se retrouver à un tour de roue derrière un camion de déménagement, qui porte sur son dos un tout petit container en méchantes planches et papier bitumé déchiré par endroits, avec des inscriptions cyrilliques, sans doute un piano droit, tout le patrimoine d'une famille qui a troqué le bonheur du régime soviétique pour celui de la Terre Promise. L'hallali final débute à quelques kilomètres quand les différents autobus convergent comme des affluents vers le même fleuve en essayant de se dépasser les uns les autres pour arriver les premiers aux portes de l'Usine***. 
Moi je suis un rituel secret que seul un oeil averti aurait pu déceler, mais à cette heure matinale je n'ai rien à craindre...
Tout le long de la grande cour qui sépare  les divers bâtiments et longeant les pelouses vertes le jardinier a aligné des bacs plantés  de mandariniers nains, de rosiers à grosses fleurs blanches, d'arbustes feuillus et comme si de rien n'était, honoré et enchanté de cet accueil coloré et amical, j'effleurais au passage jusqu'à l'égratignure, les branchettes, les piquants, le pointu des feuilles comme pour dans un rite ancestral célébrer l'amour de la Nature, je signais un pacte de sang avec des fleurs. C'était ma manière de remercier ceux qui, comme le jardinier avec ses rosiers, ont fait sortir des sables ces grandes industries  en Eretz Israel qui sont l'orgueil du pays.
Et toute la journée, à partit d'un fantôme de schéma, soudais, pliais, coupais, dénudais, assemblais des composants, connectais des appareils de mesure, comme un chirurgien sur son patient et des heures durant souvent les plus passionnantes de ma vie, je modelais mon circuit, corrigeais, retranchais, le modifiais  un peu comme le sculpteur avec sa glaise et le soir venu recouvrais ma table et allais presque à contre-coeur à la maison sans cesser de penser à mes erreurs. Après des heures acharnées et pressé par l'échéance de la date de livraison du projet, un jour enfin les signaux  des instruments s'accordaient à jouer l'Hymne à la Joie, glissant avec la grâce des patineurs sur l'écran de l'oscilloscope, les sinusoïdes se synchronisaient avec une précision de microseconde comme à ma commande et le signal idéal s'immobilisait sur le verre cathodique phosphorescent à me faire pousser des cris de joie. Ces soirées où je rentrais chez moi le front haut, heureux comme le boulanger qui a réussi sa fournée de bon pain, ce sont celles de mes milliers de camarades qui font que la haut tournent sans cesse ces antennes qui veillent sur nos enfants.


* Je lui cède le droit de passage sur le rebord de ma fenêtre, et en remerciement il me sort de ma torpeur en me roucoulant " Fainéant, lève-toi" ! Le problème est qu'il est têtu et  je n'ai encore pas réussi à le persuader que je suis à la retraite depuis dix ans déjà et que je ne trouve le sommeil que très tard dans la nuit....

** Du au pays en guerre, dite de "Kippour" de 1973, le nombre de lignes des transports du personnel fut diminué car de nombreux chauffeurs avaient été mobilisés d'urgence pour véhiculer d'énormes porteurs de tanks. Alors dans l'autobus bondé, et alors sans conditionneur d'air, les passagers en surnombre devaient se tenir debout. Comme le trajet était assez long, chaque matin le responsable de la ligne lisait la liste de ceux qui devaient à tour de rôle céder leur place assise. Mais en fait, autant que je m'en souvienne, automatiquement à mi-trajet, les privilègiés cédaient leur place à leur voisin. Les visages de ces matins étaient rembrunis par les nouvelles diffusées aux informations. Le Ministre de la Défense avait prononcé la veille un discours radio-diffusé qui glaça nos coeurs quand pour la première fois dans l'Histoire de l'Etat d'Israel, il  évoqua la possibilité que nous perdions la Guerre....

***Il y a quatre ans à peine, lors de l'éruption terroriste de Gaza en 2009, toute la zone du Nord Néguev était à la merci des rockets tirées en grand nombre sur Israel. Au fur et à mesure que notre autobus s'éloignait de Tel-Aviv en direction du Sud, la tension augmentait bien que nous essayions de fanfaronner ! Des projectiles n'étaient-ils pas déjà tombés près de l'Usine la semaine précédente ? Un responsable nous averti que dans le cas nous entendrions la sirène d'alerte à la radio du car, le chauffeur avait pour consigne de s'arrêter au bord de la route, d'ouvrir les portes pour que nous descendions au plus vite nous coucher dans le fossé. C'est effectivement ce nous arriva un beau matin, quand je me suis retrouvé dans les broussailles du talus avec mes compagnons d'infortune ! Adieu la chemise blanche et le pli du pantalon, et bienvenue aux griffures des chardons !
Nous vîmes nettement après quelques secondes, le panache de la fusée anti-fusée tirée d'une batterie de Tsahal, et entendîmes l'explosion de l'interception heureuse en plein ciel de la rocket ennemie.
Chacun reprit sa place, soulagé de la fin d'alerte et le chauffeur fonça plein-gaz pour rattraper le temps perdu et nous permettre de pointer notre carte avant le fatidique 7h.30....Car l'horloge de l'Usine, elle, était insensible au Vent de l'Histoire.....

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8 juillet 2013 1 08 /07 /juillet /2013 19:43


Cette vue aérienne de la vile d'Arad, avait été distribuée en 1962 à chacun de ses  pionniers. En bas de la photo on peut distinguer les baraques basses des premiers habitants sur le bord du wadi, et en haut les immeubles d'un urbanisme fonctionnel, dessinés  pour les protéger au mieux des rayons solaires.

Vigile-17 

J'ai connu Reuven Peretz en 1968. Arrivé de France juste après la Guerre des Six Jours, et après un séjour au Kibboutz et au Sinaï comme "Volontaire" j'ai travaillé comme vigile de la "Mishmar Ezrahi ", une société civile de surveillance, à l'usine de potasse de la Mer Morte.

Carte postale de l'époque:
Le lecteur imaginera le bruit d'enfer de ces fours tournants et la chaleur accablante !
Vigile-6
Reuven était le Chef de notre petite équipe qui devait surveiller les installations, mais aussi les alentours de l'usine jusque dans les collines. Le matin nous chargions les sièges de la Jeep de sacs de sable, précaution au cas nous sauterions sur une mine en allant vérifier dans la montagne les installations des pompes d'eau douce. Nécessité après l'attentat meurtrier(1) qui causa la mort du Directeur de l'Usine, de son Ingénieur et de soldats par des mines antipersonnel.
               La conduite du véhicule si lourdement chargé était dangereuse dans la piste caillouteuse.
Vigile-3

Un jour je lus avec tristesse sur le site de la petite ville d'Arad consacré à la mémoire de ses fils Morts pour que Vive Israel, que Reuven Peretz (2) avait été tué au combat en 1973, à 28 ans, lors de la Guerre de Kippour.
Reuven Peretz Biography
Je traduis sa biographie:
" Fils de Rivka et Raphael Peretz, Reuven naquit en Bulgarie le 16/9/1945. Il fit son Alyah en Israel avec sa famille en 1948. Il étudia à l'École Brenner de Kfar-Saba et continua ses études au Collège Agricole de Ben-Shemen.
Il fut un jeune homme au grand coeur, aimé de tous pour ses amitiés sincères et sa droiture. De fière allure et dévoué à ses parents et à sa soeur Esther.
Il fit son service militaire en 1963, et se porta volontaire dans le Corps du Nahal* fit parti de la Brigade 623 aéroportée. Il s'établit à Arad, ville nouvelle dans le Negev.
Le 24/10/1973, pendant la Guerre de Kippour, le Sergent Reuven Peretz tomba au combat dans la région de la Ville et du Canal de Suez dans le Sinaï. Il est enterré au cimetière de Kfar-Saba".
* "Nahal" : "Jeunesse Pionnière Combattante" crée en 1948 par Ben-Gourion pour combiner service militaire et communauté agricole.

Rappel:
  

'La Guerre du Kippour a débuté le 6 octobre 1973 par une attaque surprise des armées syriennes et égyptiennes contre Israël. Yom Kippour est le jour le plus saint et le plus solennel du calendrier juif. Cette guerre a duré jusqu’au 24 octobre 1973, jour où le cessez-le-feu est entré en vigueur".

Reuven est donc tombé au Champ d'Honneur le dernier jour de la Guerre ! (3).

 

Reuven au volant de sa Jeep en 1968 à la Mer Morte.
Photo rare (et je pense-même unique cliché de lui) prise avec mon appareil de pauvre qualité, mais combien précieuse.

Vigile-5-1  
Reuven aimait la vie en plein air dans cette région sauvage du désert de Judée, peuplée de Bouquetins, de Gazelles, d'Hyènes, de Marmottes et même de Lynx de Syrie. La dernière panthère a disparu de la région il y a plusieurs années déjà. En fait, elle avait bien mis bas à d'adorables petits, mais le mâle, jaloux de cette future concurrence, comme cela arrive parfois dans la Nature, les déchiqueta ! Lui-même, qui portait un collier équipé d'un minuscule émetteur pour le localiser, fut abattu par mégarde alors qu'il s'était introduit dans un kibboutz et en avait dévoré les chats.
Le matin, visite extérieure dans les collines de l'installation de la pompe d'eau-douce.
Attention ! L'enclos est miné.
Vigile-14
A la Mer Morte la chaleur, inutile de le préciser, est extrême. Faire la garde à proximité de l'Usine elle-même, et de ses fours tournants, c'était comme vivre proche d'un chaudron de sorcière. Reuven était infatigable et extrêmement dévoué à sa tache dangereuse, et exigeait de nous une discipline indispensable. Le matin, épuisés nous remontions nous reposer à Arad jusqu'en fin d'après-midi. Reuven s'allongeait sur la banquette au fond de l'autobus pour ne pas perdre un instant de repos. Nous remontions de l'étuve à moins de 400m jusqu'à la fraîcheur relative d'Arad à plus de 600m d'altitude. Souvent l'usine et ses environs étaient plongés dans un nuage de poussières blanches, quand l'air stagnait comme dans une mer des Sargasses. Les ouvriers travaillaient et se relayaient jour et nuit dans des conditions héroïques. Outre que je garnissais ainsi mon escarcelle de quelques écus, j'ai fréquenté ainsi des hommes simples venus de Tel-Aviv pour nourrir leur famille, tant le travail était une denrée rare. A leurs yeux, j'étais une curiosité. Aux miens ils étaient les défenseurs et bâtisseurs de l'Etat d'Israel. C'est à cette époque que je me suis fiancé avec cette région.

Vigile-2
Le matin, l'autobus arrive à Arad, après une longue montée en lacets de mille mètres depuis la Mer Morte.

Vigile-18

Un soir Reuven décidât de se poster avec nous tout près de l'endroit où la Mer Morte se resserre et offre un lieu de passage plus aisé pour les "fedayins". Il nous conduisit d'abord dans un bunker cadenassé était rangé un petit arsenal et laissa à chacun le choix de son arme personnelle pour une embuscade, car notre mitraillette Uzi était de courte portée. Cet étalage d'armes bien huilées et rangées soigneusement dans leur râtelier évoquait pour moi un film hollywoodien, mais hélas, c'était la triste réalité de la guerre que nous menaient les terroristes en essayant de passer en Israel pour y disperser des mines ou assassiner les paysans des villages pionniers de cette région hostile. Pour ma part je choisis une carabine à lunette. Je me sentais comme un personnage de Western...
    Au champ de tir à la mitrailleuse MG42, si gloutonne de munitions..

Vigile-8
Puis nous nous sommes allongés derrière une élévation de sable, avec la recommandation extrême de ne pas faire le moindre bruit. J'avoue que dans cette nuit noire comme de l'encre, je ne distinguais pas grand-chose de la Mer-Morte étale devant-moi ! Les fedayins étaient censés traverser en dinghy(4) cette bande étroite en profitant de l'absence de clair de lune. Les heures passaient et je m'efforçais de rester éveillé. 
Soudain je vis dans le collimateur, deux points lumineux. La nuit il est difficile d'apprécier les distances. Je faillis tirer comme un Tartarin sur cette cible mouvante. En fait c'étaient les yeux perçants d'un petit chacal des sables attiré par les restes de notre dîner nocturne. Ce coquin sans frontières, poussé par la faim, n'hésitait pas à s'approcher. Si j'avais été seul, j'aurai osé pousser devant-lui une portion d'oeuf dur, mais j'étais en service commandé qui ne connaît que les Lois de la Guerre... Évidement je ne pus partager avec mes compagnons le récit d'Alphonse Daudet, j'aurai défloré son conte, et me suis contenté de rire en silence !
De plus, si j'avais appuyé sur la gâchette, la rafale aurait alerté à tort toute la ligne gardée plus au Sud par Tsahal avec de fâcheuses conséquences....
Après de vaines  heures d'attente, Reuven nous donna l'ordre au lever du jour de nous replier, et chasseurs bredouilles, nous somme revenus au Bunker ranger nos armes, sans auparavant avoir vérifié qu'une balle n'était pas restée dans la culasse, la source la plus fréquente d'accidents, et avoir nettoyé longuement des grains de sable têtus qui s'y étaient logés.

  Vérification et revue des armes.

Vigile-1

Pour beaucoup de lecteurs, Arad est la ville qui abrite l'écrivain Amos Oz, universellement connu.
 
Pour moi, l'évocation d'Arad est maintenant définitivement liée  à Reuven Peretz.
Il a vécu dans des régions peu hospitalières du Désert de Judée, et a trouvé la mort dans les sables du  Sinaï. 
Mais sa jeunesse et sa fougue, courent encore dans les montagnes de la Mer Morte.

Notes:

(1) Un jour nous apprîmes comment le Directeur de l'Usine et son Ingénieur sautèrent sur une mine à Neot Hakikar. Le 6 Mai 1968, report des évènements dans la région de la Mer Morte par la : "Jewish Agency Telegraphic" :"Two Civilians, One Soldier Killed by Mines; 17 Guerrillas Slain During Weekend"
May 6, 1968:

Two civilians, officials of the Dead Sea potash works, and an Israeli soldier were killed when their Jeep hit a mine near the potash plant yesterday morning. Two other civilians and a soldier were Injured in an earlier mining incident near the same spot. They were the only Israeli casualties of the post-Independence Day weekend during which Israeli forces killed 17 Arab marauders in three clashes in the Negev, the Jordan and Beisan valleys. A military spokesman reported renewed Jordanian small arms and artillery fire aimed at three Beisan Valley settlements and at Israeli forces near the Allenby Bridge today, the scene also of some desultory shooting by Jordanians yesterday. In each case the fire was returned and there were no casualties reported.

The civilian dead were identified as Dr. Yehoyachin Keinatt, 43, deputy general director of the potash works and Benjamin Birann, 38, an engineer who was director of manpower and administration. The soldier was cadet David Braberyahu, 23. They were killed when their Jeep and an Army command car raced to the aid of another Jeep which had just struck a mine, injuring its civilian and military occupants. The mines had been laid by terrorists on a road near the potash evaporation ponds. Late last night an Israeli patrol near the southern tip of the Dead Sea encountered a gang which is believed to have planted the mines.

News of the battles in which 17 Arab guerrillas were killed was withheld so as not to spoil Independence Day celebrations Thursday and Friday. Twelve heavily armed guerrillas were killed by an Israeli patrol near Neot Hakikar on the Jordan border south of the Dead Sea Thursday night. Soviet-made machine guns and hand grenades were found on the bodies. Four raiders were killed in a clash in the Jordan Valley and a fifth south of the Sea of Galilee.

(2) A la Mémoire des enfants d'Arad :
  
(3) La Bataille pour Suez:
Elle fut sanglante jusqu'au jour de l'armistice. Israel avait réussi avec de lourds sacrifices à mettre pied sur la rive égyptienne du Canal de Suez, le 25/26 Octobre 1973.
http://en.wikipedia.org/wiki/
Battle_of_Suez

(4) Dingy:
Petite embarcation gonflable, qui à l'origine faisait partie de l'équipement de survie du pilote abattu en mer.
Après la WW2, ces petites embarcations bradées dans les surplus américains firent notre joie à Alger-de-ma-jeunesse.
   
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18 juin 2013 2 18 /06 /juin /2013 12:43

 

L'été 1965, j'ai profité du congé annuel du Labo parisien où je travaillais depuis mon retour traumatique d'Algérie en 1962, pour retraverser la Méditerranée, mais cette fois en direction de la Terre Retrouvée. Ce voyage était organisé par une agence pour faire connaître la vie au Kibboutz. Mais auparavant je dus, à la demande d'Air-France, me faire vacciner contre le...choléra ! Je ne voyageais cependant pas à la Mecque....Au contrôle de Police, un CRS me demanda de sortit mon portefeuille! Car à cette époque le règlement sur le contrôle des changes était drastique. Je n'avais que quelques Dollars achetés à la Banque de France, car la monnaie française  était dans le pays d'un usage peu fréquent.
Le Boeing qui décolla d'Orly, se dirigea d'abord sur...Amsterdam pour prendre d'autres passagers, et nous y reçûmes de nouveaux billets pour ensuite faire une autre escale à...Munich ! Et comme les voyages forment la jeunesse, l'avion nous débarqua à...Chypre, histoire d'humer l'air de l'île divisée et de nous confier enfin à un avion à aile haute du type Britannia de la Compagnie El-Al. Un avion frappé de l'Etoile de David pour la courte étape finale. J'en étais très ému, mais nous étions aussi affamés, car depuis longtemps nous avions quitté Paris...
L'hôtesse charmante ne distribuait cependant que des boissons et des sachets de Pretzels(1). Arrivée à ma hauteur, son chariot buta sur un obstacle et le plateau de verres emplis de Jus d'Orange fit un plongeon....Alors que les passagers aspergés et restés assoiffés fronçaient déjà les sourcils, moi je fus mortifié de cet incident qui je l'imaginais déjà, allait noircir la réputation de la Compagnie, car pour moi tout ce qui touchait à Israel devait être  parfait  dans ma naïveté romantique....
En descendant l'escalier calé sur le flanc de l'avion ma gorge se serra  en pensant toucher le sol de cette terre sacrée pour la première fois de ma vie. Non, je ne me suis pas agenouillé pour embrasser théâtralement l'aire bétonnée, mais un peu à l'écart, me suis rapidement courbé quand même pour y poser ma main et  la porter à mes lèvres !.
Un camion du Kibboutz attendait les "volontaires". Les rudes  traverses en bois  laissaient un étroit couloir pour nos sacs-à-dos. La route sinueuse et les tressautements de la suspension durant tout le parcours, nous donnèrent un avant-goût de la rude vie qui nous attendait.
A l'entrée, le gardien dans sa guérite ne leva sa barrière que lorsque le camion trempa longuement ses pneus dans une grande flaque de pesticide car les germes de la Fièvre Aphteuse étaient toujours latents.
Nous attendait une Société très différente et unique au monde, et qui depuis a beaucoup évolué.
Hava,(Eve en hébreu), nous accueillit et se présenta comme la mère qui allait enregistrer nos coordonnées personnelles, et être le porte-parole du Kibboutz pendant notre séjour. Son visage avenant était marqué par  les méfaits d'une exposition prolongée au soleil. Elle nous conduisit vers les baraques qui devaient nous abriter: elles étaient à l'origine les habitations frustres des premiers fondateurs de Maanit. Toutes en planches, elles emmagasinaient la chaleur et donnaient abri aux....scorpions ! Au kibboutz les douches sont communes, une cloison simple sépare les filles des garçons, l'eau était froide et bien-venue pour nous réveiller dès l'aube, car en agriculture il faut commencer très tôt avant que le soleil ne darde sur nos têtes de citadins.
Nous reçûmes chacun une paire de lourds souliers éculés... qui avaient du servir aux pionniers de la première heure, et qui devaient nous protéger des ronces et des piqûres d'hôtes indésirables.
Ainsi, à peine cinq heures, alors que le jour était encore blafard, nous entendions de loin le clapet du tuyau d'échappement du tracteur  à gros pneus "Marshall" (?) qui traînait sa remorque à plateau dans le chemin de terre.
Moi si j'adorais ce mode de réveil, mes voisins rechignaient et vitupéraient d'être sortis ainsi des bras de Morphée !
Nous sautions en marche sur la remorque et les pieds ballants nous tanguions et roulions comme de vieux loups-de-terre...Notre tâche première était de cueillir des pommes. Le Kibboutznik nous expliqua comment les séparer des branchioles d'un mouvement circulaire sans blesser l'arbre. Chacun de nous faisait de l'équilibre sur une échelle en aluminium tripode en remplissant notre besace de ces fruits si tentants ! Tentants mais interdits, car nous expliqua le pionnier tchèque tout noirci par le soleil, ces fruits étaient destinés à l'exportation* ! Par contre ceux qui étaient tombés de l'arbre étaient à notre disposition...En fait combien de pommes pouvions-nous nous gaver en une matinée? A dix heures, c'était l'heure du repos, nous recevions notre petit-déjeuner, dans un sachet individuel, où tomates, cornichons, se mêlaient aux olives noirs, à l'oeuf-dur et au pain de mie. Nous buvions à même les tourniquets l'eau précieuse du verger qui nous arrosait agréablement au passage.
Les grands casiers de la remorque se remplissaient rapidement du contenu de nos sacs en toile et les fruits étaient emmagasinés dans le hangar où les pommes allaient être triées, calibrées, lavées et emballées.
En fin de matinée les muscles commençaient à être douloureux et la prochaine heure du déjeuner nous galvanisait ! A l'entrée du restaurant communautaire, comme des travailleurs de longue date, nous décrottions nos hautes godasses de la lourde terre rouge du verger, et comme les résidents savonnions longuement nos mains à la batterie de robinets semblable à celle de l'armée .
Chacun s'asseyait à la première place venue, ce qui devait théoriquement favoriser les échanges avec les habitants. En fait mon hébreu de débutant rendait la conversation difficile...J'aurai tant voulu rouler les "r" comme les anciens ! Un détail me reste de ces frustres agapes au libre-service: nous allions remplir les carafes d'une eau gazéifiée délicieusement fraîche... Inutile de préciser que ni bière, ni vin ne figuraient au menu unique...L'alcool était (alors !) inconnu de la jeunesse. Le jus d'orange étant la saine boisson triomphante dans les réclames. Chacun et chacune à tour de rôle, en tablier, débarrassaient les tables et rangeaient la vaisselle dans un chariot pour la plonge, qui heureusement était semi-automatique...
Tout proche au Secrétariat qui planifiait les activités étaient affichées les tâches du jour avec en face le nom de chacun des travailleurs. Dans une petite salle de lecture adjacente figuraient sur les étagères des livres et brochures des écrivains-pionniers illustres de l'époque et bien-sur ceux de l'Hachomer Hatzaïr, " La Jeune Garde". C'était donc dans ce périmètre restreint  le quartier-général du Kibboutz que dominait le haut château-d'eau surmonté lui-même d'une antenne radio. A cette époque la TV (heureusement ?) n'existait pas et ne fit son apparition qu'en 1968 !).

Maanit-4
Devant ce centre de la vie communautaire s'étendait en pente une belle pelouse verte. J'appris à mes dépends que son entretien était un labeur de longue haleine comme l'arrachage des mauvaises herbes, et le passage manuel d'un lourd rouleau ....
J'ai conservé de ce séjour une photo de ces travailleurs creusant la terre pierreuse au marteau piqueur pour y enterrer une petite conduite d'eau.

Maanit-1
Et puis j'ai trouvé dans les archives de Maanit(3), un  cliché datant de 1946 de ces pionniers d'alors occupés au même travail !
Maanit Water Pipe 1946
Quelle émotion dans cette continuité ! La terre en friche depuis très longtemps se dessèche, laisse remonter le sel et devient ingrate à l'agriculture jusqu'à la stérilité..Il a fallu l'acharnement de ces pionniers pour transformer le paysage et redonner la vie à la région.
Ce Kibboutz n'était pas riche. La vie, spartiate. J'avais acquis à Paris une chemise de travail que j'avais choisie en nylon bleu, d'ailleurs grosse erreur par cette chaleur !. Mais elle avait l'avantage de ne pas devoir être repassée et séchait immédiatement. Maintes fois elle fit l'envie des jeunes qui ne connaissaient ce luxe...Pour ne pas faire de jaloux, j'avais décidé de ne pas la céder...
Je m'étais fait un ami en la personne d'un kibboutznik qui dans son échoppe dépannait tout...ce qu'il pouvait, car le Kibboutz doit se suffire à lui-même: des  bouilloires électriques aux montres et radios à tubes. J'étais allé en ville pour y acquérir une dizaine de mètres de fil électrique pour en faire une antenne, et nous l'avions tendu entre deux arbres pour améliorer la réception de son poste. David, c'était son prénom, était souffreteux et ainsi il avait reçu un emploi ne demandant pas d'effort physique, mais qui lui permettait de rendre de grands services à la communauté qui se suffisait ainsi à elle-même.
Le Kibboutz était fier de sa bananeraie. Armés de machettes nous élaguions les troncs de ses branches mortes, comme si nous étions dans une mini-forêt vierge.Soudain nous entendîmes des cris d'effroi: le kibboutznik qui nous accompagnait et nous guidait dans notre travail, brandissait un serpent qu'il venait d'occir...                                     
Les modestes habitations:

Maanit-3-1
Le coin des enfants. Tout au Kibboutz est centré sur eux. Il y a des années, ils étaient encore séparés de leurs parents la nuit, les petits dormaient dans une pouponnière à part. Ce fut longtemps une idéologie éducative très disputée.
Maanit-2
Chaque Volontaire avait été adopté par une famille. Invité d'un soir, je découvris leur logis minuscule, aux meuble très simples. La cuisine n'existait pratiquement pas, tous les repas se faisant au restaurant communautaire. Ce vieux couple me prépara du café, et lui, malicieusement sous les yeux de sa femme sourcillante, profitant de l'occasion d'un étranger me proposa le luxe d'un verre de schnaps que je n'osait refuser. Il sortit d'un tiroir des cartes postales représentants de célèbres tableaux de femmes au long cou et aux yeux en amandes et fut tout heureux quand je répondis à sa devinette que l'artiste était sans doute Modigliani...Travailleur de la terre, il était fier de me faire partager sa culture qu'il avait du acquérir du temps de sa jeunesse. Le même soir, étant à son tour de monter la garde, il m'emmena patrouiller autour du Kibboutz en me confiant son arme, une mitraillette Uzi à crosse de bois jaune. Non pas qu'elle lui sciait l'épaule, mais pour me faire plaisir et m'honorer. Il me rappela que le Kibboutz avait été fondé déjà en 1935 et établi définitivement en 1942 par des pionniers Tchèques et Polonais. Le symbolique nom de ce nouveau  Kibboutz dans la région, face au menaçant Wadi-Ara d'alors, signifie littéralement le "premier sillon qui tranche la glèbe". La frontière avec la Jordanie était très proche, la menace des fedayins toujours très réelle..et la nuit, toutes les ombres semblaient si menaçantes ! Mais lui faisait placidement son chemin de ronde, comme si de rien n'était. Maanit(2) était situé alors dans le goulot d'Israel et à seulement 20km de la mer. Les armées arabes avaient toujours rêvé à cet étranglement et de couper le pays en deux en lançant leurs hordes. Le Kibboutz est situé sur cette carte d'avant 1967, proche du numéro 3, partie centrale du pays.
israel mapUne fois, il nous fut demandé d'éclaircir les tranchées qui s'étaient remplies de branches d'arbres d'Eucalyptus et de broussailles. Elles avaient servi au Kibboutz assailli pendant la Guerre d'Indépendance à repousser les attaques de l'armée Irakienne. Une bonne précaution car la frontière n'était plus sure.
Retourné à Paris, plus que jamais étais à l'écoute des nouvelles en provenance d'Israel, diffusées sur ondes-courtes par "La Voix d'Israel". Les visages et les paysages rencontrés dans ce  voyage ne me quittaient plus.
Les premiers mois de 1967 devinrent ceux d'une angoissante Veillée d'Armes. Ainsi deux ans après, la Guerre des Six Jours éclatait.... et je franchis le Rubicon. Je bâtissais alors des projets de vivre plus au Sud au Kibboutz Yad-Mordehai. Etant  salarié, j'étais prêt en tant que membre travaillant hors de la communauté, à verser suivant la règle une partie de mon salaire au Kibboutz.
Mais je tombais bientôt sous les charmes d'une Sirène citadine qui venait de terminer ses deux ans de Service militaire, et faisais une période de réserviste. je dus adapter mon rêve à une bourgeoise activité électronique, qui ne me déçut pas. Je ne suis jamais retourné à Maanit, bien qu'en presque un demi-siècle j'aurai pu trouver l'occasion de le faire visiter à ma famille. J'ai préféré garder intactes les images et les visages et les illusions de cette époque.
Depuis, ce Kibboutz est devenu prospère, avec des activités industrielles très diversifiées. Mais nos ennemis, quant à eux, jamais n'ont été si nombreux, si féroces et si rétrogrades.

In Memoriam.
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Parmi les combattants qui furent tués durant l'Holocauste et la Deuxième Guerre Mondiale, deux des membres de Maanit :
Joseph Kaplan qui fut le premier Commandant de l'Organisation Combattante dans le Ghetto de Varsovie(1942),
Haviva Raik, la parachutiste qui avec d'autres, risqua sa vie pour le sauvetage de Juifs d'Europe occupée et fut fusillée par les membres du Parti Nazi en 1944.
Le Kibboutz perdit aussi 4 de ses fils :
Yoram Sella, tué pendant la Guerre du Kippour, (1973)
Yirmi Tene, tué pendant la Guerre de Kippour, (1973)
Yossi Gamer, tué pendant la Guerre d'Attrition, (1970)
Eliahu Goshen, tué pendant la Guerre des Six Jours, (1967)
Que leur Mémoire soit bénie.



   *Extrait de Wikipedia sur le Mouvement "Hachomer Hatzaïr " :

"En France, l'Hachomer Hatzaïr a été créé à Paris, dans le quartier de Belleville, en 1933, par un groupe de jeunes juifs d'origines tunisienne et polonaise.

Aujourd'hui, la branche française, compte dans quelques villes de France, quelques centaines de membres qui se retrouvent pour de nombreuses activités régulières. A Paris, l'Hashomer est liée au Cercle Bernard Lazare ou CBL(du pseudonyme de l'anarchiste juif Lazare Bernard défenseur de Dreyfus et rédacteur originel du texte du "J'accuse".(Fin de citation).


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28 mai 2013 2 28 /05 /mai /2013 11:14

 

Avec le débarquement américain, nous connûmes à Alger une immédiate amélioration de notre situation alimentaire qui s'enrichit du beurre de cacahuètes, de bananes, ce fruit des Îles dont je ne découvrais la douceur qu'à l'âge de cinq ans, mais aussi de pain blanc et autres délicatesses qui étaient au menu des riches rations des G.I. (Government Infantry).
En ce qui concerne l'équipement scolaire, les cartables étaient bien usés ! Mais se répandit comme une traînée de poudre dans les Lycées que sur les hauteurs d'Alger les soldats se débarrassaient d'une colline de boites vides de munitions qui contenaient n'y avait pas si longtemps les bandes de cartouches calibre 12.7. Mon frère  rapporta deux de ces objets convoités. L'une pour y mettre ses cahiers de lycéen et l'autre pour y fourrer mes trésors qui étaient des jouets dépareillés...

 

Alger Bombardenet 1943

 

 

L'aviation allemande et italienne ne menaçaient heureusement plus Alger, lorsque ce fléau fut remplacé par une autre plaie comme ces bestioles vertes au flanc bien rebondi qui chaque année faisaient du tourisme en Algérie et dévoraient les récoltes sans y être invitées. Par une belle journée estivale, notre père au volant organisa un voyage à Sétif, (Hauts Plateaux Constantinois), sous-préfecture qui devint le berceau de ma famille après le départ en catastrophe en 1871, du Territoire de Belfort. Cette enclave était restée française après la défaite de Sedan et accordée par l'Empire Prussien en reconnaissance du courage des troupes du Général Denfert-Rochereau devant l'ennemi allemand.

Nous roulions toutes fenêtres baissées pour essayer de rafraîchir la température intérieure torride. Subitement le ciel se fit plus sombre, et avant que nous réalisions quels étaient ces nuages, nous fumes enveloppés par des nuées de sauterelles qui s'écrasèrent sur le capot de la voiture, mais surtout s'engouffrèrent  avant que nous ayons eu le temps de remonter les vitres ! Vous imaginerez facilement la situation cocasse et les cris des voyageurs qui essayaient de se dégager de ces bestioles têtues qui s'infiltraient dans  les manches de chemises courtes mais aussi dans nos pantalons...et sous  la jupe de ma mère...

 De retour un Jeudi de la campagne d'Hydra, sur les hauteurs d'Alger, je rapportais dans mon mouchoir avec quelques herbes un spécimen magnifique en faisant attention de ne pas l'écraser !  Arrivé à la maison, j'aurai bien voulu la libérer dans ma chambre, mais je dus lui  chercher un gîte, et comme il n'était pas question de vider le bocal à sucre, qui pourtant par sa transparence m'aurait permis mes observations, je vidais sur la table ma boite de métal et mis avec un peu d'eau la voyageuse et refermais le couvercle pour la nuit. Le matin, je dus m'affairer à ranger mes livres et cahiers et y joindre quelques bandes dessinées à échanger, comme les Aventures de Placid et Muzo ou de Coq Hardi, et me presser pour descendre les cinq étages, et aller remonter les escaliers de la rue Tirman pour gagner mon École Clauzel. En revenant de mes études, ​ânonnements de la table de multiplication,​ débraillé et tout congestionné de mes recréations, je n'eus qu'une envie, outre celle naturelle de vider d'urgence ma vessie, d'aller ouvrir le couvercle de ma boite kaki pour aller jouer avec ma sauterelle. Hélas, couchée dans l'herbe humide, une sécrétion infâme sortant de son abdomen, ses ailes collées, elle ne donnait guère signe de vie. J'essayais bien de la ranimer en la bousculant avec mon crayon, mais peine perdue, ses pattes étaient raidies: elle était morte en captivité. Ainsi se termina ma carrière d'entomologiste amateur...

Pas tout à fait cependant ! Un jour bien chaud, j'avais accompagné mon père à un fournisseur de matériel établi au lieu dit  Ravin de la Femme Sauvage. Cette zone industrielle nouvelle par laquelle passait un axe routier important vers Birmandreis, avait été creusée dans le tuf, cette pierre calcaire jaune et peu résistante, très prisée comme base pour la construction des routes avant le revêtement en goudron. Pendant que mon père était occupé à ses affaires, comme d'habitude dans ce cas pour ne pas m'ennuyer, je jouais dehors en poussant les cailloux du pied en soulevant la poussière. Soudain mon soulier mit à jour un nid de scorpions jaunes. J'avais dérangé toute une famille dans leur sieste, à l'ombre du soleil dardant, sous la pierraille. En cherchant bien, je découvris une boite d'allumette vide, vous la connaissez : avec sa vignette représentant un jockey cravachant sa monture. (J'appris plus tard que c'était mon professeur de dessin Jacques Burel qui la dessina pour les Usines Caussemille ! ).  Mais mon intention était d'enfermer ma découverte dans cette boite un peu trop petite pour ce client au dard en trompette. Je ne réussis avec une brindille qu'à y faire entrer un jeune scorpion au dos velu moins preste que le reste de la bande. Je ne dis rien de cette capture, car mon père n'aurait pas accepté de me voir jouer avec cette bestiole qui peut provoquer de vives douleurs. Je revins donc à la maison fier de mon trésor, avec mon captif, en posant avec précaution ma boite sur la table de ma chambre...Après mon goûter, je décidais de lui rendre visite, et ne sachant pas de quoi il se nourrissait, j'ouvris lentement la boite pour le libérer dans les feuilles du pot de géranium, sur le rebord de ma fenêtre. Après quelques secondes d'hésitations, et sans doute allergique à l'odeur forte de cette plante, il se laissa glisser avec la rapidité de l'éclair, et avant que j'ai pu réagir, disparut sous la margelle de la fenêtre. Je n'avais plus de champ de vision pour le rechercher sur le mur extérieur,  sans doute il devait faire de l'alpinisme en s'agrippant à la gouttière ou au ciment rugueux et chercher un trou pour s'y blottir. Cette bestiole dépourvue de vertige, pouvait explorer tout l'immeuble, la tête en bas, et le dard en haut. Je n'osais pas alerter la maisonnée de cette fuite, et imaginais glacée d'effroi une voisine de l'immeuble découvrant ce somnambule visiteur du soir, ce qui aurait déclenché une révolution de quartier avec un appel des pompiers et le déploiement de la grande échelle (ce qui en soit ne me déplaisait pas), mais aussi une inévitable enquête de la police. Par chance, personne ne s'est plaint, et chaque fois que je croisais un voisin en soulevant poliment mon béret riais sous cape en pensant que peut-être derrière son armoire, mon scorpion se laissait glisser pour visiter l'appartement chaque nuit.
  Après bien des années, lorsque j'ai habité sous la tente, lors d'un séjour gratuitement offert au Sinai en 1967, j'appris à mes dépends que cette bestiole a un goût particulier pour se blottir dans les godasses militares au fort parfum..

Mon Père  vécut sa prime jeunesse à  Sétif dans une maison faisant face au grand marché arabe. Cette demeure regroupait toute la grande famille du minotier Salomon Lévy. Le nid familial jouxtait une École des Soeurs où il apprit son alphabet. Il lui en était resté une chansonnette qu'il me fredonnait :

 

" A l'École de ma Soeur Marie,

 On entend les enfants qui crient !

 Voulez-vous vous taire,

 Enfants de pomme de terre,

 Taisez-vous, et vous aurez deux sous !"

 

Il aimait me raconter que quelques fois à la sortie de l'École Communale, de petits arabes chamailleurs venaient l'inquiéter sur le chemin du foyer. Une fois qu'il se sentit vraiment menacé, il eut la chance et la joie de voir son "'Médor" qui avait entendu ses appels bondir sur ses assaillants et les chasser ! Mon Père aimait les bêtes et je crois que j'en ai hérité ce penchant.


Un matin, la femme de ménage qui venait aider maman, entra avec un petit Epagneul, qui, elle le promit, était très gentil et propre. Ce fut pour moi une grande joie de pouvoir le caresser, se frotter à son museau humide et jouer avec lui dans ma chambre. Je roulais sur le tapis en le serrant dans mes bras et il me mordillait en signe d'affection en agitant ses longues oreilles. Hélas, en fin de matinée, et avant de partir, nous découvrîmes qu'il avait laissé sa carte de visite sur le tapis de haute laine. Il devint ainsi du jour au lendemain persona non-grata et je fus privé de nos gambades.


A l'atelier paternel de métallurgie, j'avais un bon camarade au poil gris argent grand amateur de souris. Je le surpris une fois jouer cruellement avec une de ces bestioles sans défense qui poussait des cris plaintifs. J'en fus horrifié, d'autant plus que cet hypocrite venait quelquefois se frotter au pantalon de mon père assis à son bureau.

Il savait qu'ainsi le Patron-tout-puissant ouvrirait en fin son tiroir pour lui donner quelques gouttes du tube de lait-condensé...destiné à préparer son café !


Les jours de grandes chaleurs, mon Grand-Père paternel et sa famille passaient quelques journées à Mansouria dans une villa près de la mer. Située au pied de la très boisée et sauvage Petite Kabylie, elle était rafraîchie par le vent qui balayait la Méditerranée. Les repas se déroulaient toutes fenêtres ouvertes. Ils étaient quelques fois troublés par un malin petit singe vert qui s'agrippant au lustre, attendait le moment propice pour voler ce qui lui plaisait le plus au menu. En fait tout était bon pour lui. Mon Père était enchanté de ces impromptus qui mettaient de la gaieté dans le sérieux des grands. Moi-même j'ai toujours rêver de jouer  aussi avec un de ces  petits amis fripons. J'ai du me contenter de les regarder derrière leurs barreaux au Jardin d'Essai !
Il y avait sur la terrasse de Mansouria un autre hôte plus paisible : un Hérisson peu farouche.  surnommé "Garfunkel" ! J'ai bien cherché sur internet la signification de ce nom, mais sans aucun rapport avec cette animal piquant. Là où je vis maintenant, je rencontre souvent ces animaux au printemps, sortant de leur sommeil, blottis au chaud. Ils sont inconscients du danger automobile et traversent les rues imprudemment. Une fois j'en ai sauvé un qui vagabondait sous une voiture en stationnement. Je ne pus résister à l'envie de le montrer à mon fils alors au Jardin d'Enfants. Le Hérisson n'est pas méchant quand il est en danger il se met simplement en boule ! Je le déposais doucement dans  mon mouchoir. Cette bête au museau retroussé, adore qu'on lui caresse son ventre rose !

 

 

herisson

 

Ses petites pattes ont des doigts presque humains. Il n'est pas étonnant, tant qu'ils sont si charmants qu'on retrouve ces animaux populaires dans les dessins animés.

 

Lors de nos promenades dominicales, mon père nous conduisaient dans les Gorges de La-Chiffa. Là bas des singes peu farouches attendaient les excursionnistes sur le bord de la route avec des grimaces. Je leur jetais des cacahuètes qu'ils décortiquaient habilement. Une fois, un singe plus rapide que l'éclair, bondit du talus et me vola mon béret !

L'arbre qui abrite leurs ébats semble être un sycomore. Ses fruits, semblables à de petites figues, sont délicieux .Les petites Chauve-souris en raffolent aussi.

 

  01dacbba

 

Les Guenons promenaient leur progéniture adorable agrippée sur leur dos. Un petit arabe proposait pour quelques pièces un de ces jeunes qu'il avait réussi à capturer. Mes regards suppliants pour attendrir mes parents se heurtèrent à l'inexorable logique que cette bête aux yeux touchants dépérirait vite en Ville. Ces singes adultes, lorsque ils se retournaient  en signe de dédain, présentaient un fessier énorme et rouge comme une tomate, comme quoi les canons de la beauté sont géographiquement variables !  


Ce matin-même, je me suis fait un nouvel ami: une sorte de Merle au bec jaune, qui vient chaque fois disputer les miettes de pain rassi que j'éparpille pour les pigeons. Comme il n'était pas spécialement bagarreur comme ces roucouleurs assez cruels entre eux qui préfèrent se disputer la Manne à coups d'ailes, il eut l'idée de venir directement se poser dans le creux de ma main tendue, pour picoter le pain dur. Il s'agrippait avec ses  pattes tenues sur mes gros doigts, et me chatouillait la paume de son bec pointu, mais je retenais mon souffle, immobile, de peur de l'effrayer... Instants de vrai bonheur.

Et puis, brusquement, à 12h rugit la sinistre sirène d'alerte aux fusées balistiques "non-conventionnelles", (entendez par là, attaque chimique !! ), exercice à l'échelle nationale annoncé par la Défense Passive. Les oiseaux s'envolèrent dans un bruissement d'ailes, et moi je suis resté assis tristement sur mon banc. Près de moi, les enfants d'une école se précipitèrent hors de leurs classes en criant comme pour une recréation inespérée et  dévalèrent les raides escaliers d'un abri dans un désordre...organisé.

Ce soir à 19h, rappel de l'exercice précèdent, mais en famille. Je pense que ce jour de gloire ont du mourir quelques vieillards au coeur faible.....

 

 

Notes:
Voir le beau site: Mer et Nature de ziamah mansouriah dont j'ai extrait la photo des singes:

 http://zinaziama.centerblog.net/

La photo du bébé hérisson est de ::

http://www.communicationanimale.ch/page14.php

 

Dans le site ci-dessous, le lecteur découvrira que la vie en Algerie n'était pas aisée:

Burzet, Bellarmin-Vincent (Abbé) - Histoire des désastres de l'Algérie, 1866-1867
-1868, sauterelles, tremblement de terre, choléra, famine, par l'abbé Burzet,.

 

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19 avril 2013 5 19 /04 /avril /2013 11:54
Plus tard trônât en place d'honneur un ordinateur IBM-350, avec ses énormes piles de disques. Et à cette époque, nous nous sentions à la pointe du  progrès !! G.... qui s'enorgueillait de "son" IBM, était encore plus fier de sa Dauphine rouge, qui avait bénéficié de deux ou trois couches supplémentaires de peinture, grâce à son beau-père qui travaillait à la chaîne chez Renault.... Pendant les pauses de midi, il allait voir son chantier à Clamart, où il construisait sa villa....Le  3ième larron, D..., jeune mais assez tubar, voûté et toussant, ne faisait rien de la journée à part expectorer et critiquer les uns et les autres, en semant la zizanie dans le groupe, et cela durant les cinq années de ma présence.          
Maurice Bellier, un brave homme, le protégeait en ce sens qu'il  supportait son parasitisme criard. Comme les malades,  ce jeune à la figure de plâtre  était d'un caractère aigre, avec une langue bien pendue, et critiquait tout le monde. Le 4ième personnage de ce minuscule département qui ressemblait un peu à un hospice, était un Ingénieur Bulgare, qui avait fuit le Rideau de Fer. Avec émotion il me raconta comment sa fiancée fut victime à la frontière des sentinelles communistes et resta coincée dans les fils barbelés et assassinée. C'était un petit homme timide à la calvitie avancée qui était très sympathique, me donnait du "Monsieur Lévy", à tout bout de champ, parlait bien le français avec un fort accent étranger en roulant les "r". Encore un émigré, qui recommençait sa vie chez Bellier. Le 5ième agent technique "L...", un vrai titi parisien, avait l'habitude de raconter le Lundi ses virées dominicales dans les bas-fonds de la Capitale où passait tout son salaire. Grand et maigre, toujours en blouse bleue et cravaté  impeccablement, il était attaché à l'entretien des appareils de mesure de température, les  fameux  potentiomètres "MECI", qui parsemaient l'étage du rez-de-chaussée, où étaient effectués les essais thermiques. Toujours rigolard, il fut pourtant atteint de dépression, s'attaqua trop à la bouteille, et fit des séjours à l'hôpital. Un jour qu'il en sortit,  Bellier voulant le sauver en lui donnant un poste de responsabilité lui confia la maintenance de ces enregistreurs dérouleurs de papier, ou s'inscrivaient analogiquement les variations dans le temps de tensions électriques émis par des thermo-couples, proportionnels à la chaleur d'un four par exemple. Une mécanique compliquée et fragile . . Le malheureux L.., qu'on avait envoyé en stage chez "MECI", bourré de bonnes intentions décida en démontant tous les engrenages et roulements à billes, de les nettoyer au tétrachlorure de benzène, notre dangereux "trichlore",un puissant détergent.
Tous les appareils qui passèrent par ses doigts noueux, débarrassés de leur huile bienfaisante, se grippèrent en un rien de temps et paralysèrent tout un département. Bellier, à moitié étranglé  à cette nouvelle, une fois de plus "passa l'éponge". Tous les matins, sortant de son appartement de fonction, situé au 2ème étage, le Directeur, venait nous dire bonjour. Il aimait cette salle. En pardessus noir, toute l'année, il avait cependant des jours, où s'étant levé du pied gauche, il était préférable de nous cacher derrière une visière d'oscilloscope ou de nous pencher sur un matériel à dépanner avec notre fer à souder. Une fois, il passa en revue les appareils de mesure et, comme à l'armée, soulevant la poussière de son doigt, nous ordonna de les nettoyer au pinceau..chaque matin. Au même étage, une vieille fille dirigeait le département d'optique. Là une énorme sphère servait aux mesures des intensités lumineuses des ampoules et étalonnages. G.., toujours égrillard, courait après elle, avec des mains baladeuses, comme dans sa jeunesse et le couloir  retentissait des braillements de sa copine. Le  responsable de la Mécanique, B..., dans son éternelle blouse grise, avait aussi un logement de fonction et régnait sur les machines-outils de l'entresol. Nez  rouge de celui qui aimait bien taquiner la bouteille, il était un excellent Ingénieur. Un nouveau dessinateur qui était assez nerveux dit un jour de lui: "Avec lui, c'est toujours la valse hésitation" ! (Bizarre ce souvenir!). Il régnait sur son domaine au sous-sol en nous permettant quelquefois de réaliser des châssis en tôle étamée ou même en laiton, qu'il savait pertinemment ne pas très être indispensable pour notre travail.
Le début de semaine était faste: un élève qui faisait sa thèse d'Ingénieur Électricien, apportait régulièrement du Domaine de son père, une caissette d'un vin blanc délicieux qui nous déliait les langues si besoin en était ! Inutile de préciser que le Labo ne souhaitait pas spécialement le succès rapide à ses examens qui nous aurait privé de ce liquide velouté...
Un jour, nous entendîmes un  grondement terrifiant qui venait du proche Boulevard Brune. Un immeuble en construction venait de s'ébouler. La grue, en montant  des poutrelles avait accroché l'ossature métallique , et le tout s'était écroulé sur 14 ouvriers qui y périrent. B.... s'élança avec ses techniciens pour porter les premiers secours, avec des bouteilles à oxygène et des chalumeaux. Ce type de squelette d'acier qui  économise le poids du béton et assure une installation moderne et rapide n'était pourtant pas la cause de cette catastrophe, mais une mauvaise manipulation du grutier. Ces ouvriers étaient presque tous étrangers, et qui sait s'ils ont tous été identifiés. La main d'oeuvre d'alors était portuguaise. Le site resta longtemps condamné.
                  Voici quelques photos de ce qui fut notre joyeuse équipe:

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                                       Jacques pose ...la pipe à la main.
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     Et si certaines sont à l'envers, c'est que nous étions parfois des farfelus..
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Non, M... ne travaille pas à un compte-rendu urgent de dosimétrie à remettre à un client, mais en fait potasse son examen de fin d'année du C.N.A.M....

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Sur cette dernière photo, Jacques toujours sérieux au travail devant l'installation compliquée de la Pompe à Vide.

Une de nos mauvaises plaisanteries était de déposer sous la chaise d'un camarade plongé dans son travail (ou dans ses rêves !), une capacité électrolytique de 25 micro farads et de la faire exploser à distance en branchant les fils reliés à ses deux extrémités au secteur, bien au dessus de sa tension de claquage ! Il en résultait une forte détonation à réveiller un mort.  une étrange utilisation de ces composants de la Société Sic-Safco..
La bibliothèque, une très belle pièce dans la rotonde, était mon lieu favori pour fouiner dans les vieux bouquins techniques. Madame 'D..", en était la secrétaire, et bibliothécaire , mais surtout préposée à  la machine à photocopier, un appareil  alors récent et très prisé par nous ! Son mari, encore une blouse grise, celle des ouvriers , passait son temps à déambuler dans tous les étages, venait faire la causette, gentil, mais ne faisait pas grand chose pour la science. Son père, un ancien du LNE , toujours à moitié enivré, s'endormait dans les bas-fonds du Labo, jusqu'au jour où Bellier exaspéré, le mit à la porte, (il était très proche de la retraite). Au premier étage, régnait le domaine du Son et des Images. D...., malingre aux yeux bleus, un sympathisant de notre cause, et un excellent copain était un fin connaisseur des microphones, enceintes acoustiques, chaînes hi-fi, et maniait avec dextérité dans ce paradis que j'aimais visiter les appareils de mesures " Bruel & Kjers", à la couleur vert pale si caractéristique, dans leur beau coffret de bois vernis. Il était amoureux de sa  Fiat 800 bleue, et jouait avec la boite de vitesse comme un professionnel une fois sa voiture bien rodée. Il obtint son diplôme d'Ingénieur C.N.A.M. dans sa spécialité. Il faisait beaucoup d'essais à l'extérieur, et je l'enviais pour ses excursions hors du Labo. L'exposition annuelle du "Salon du Son et des  Images" était le clou de son département qui y exposait. Le soir de la clôture, je me souviens d'une projection superbe bâtie sur l'idée de l'association de trois diapositives simultanées synchronisées avec de la musique quadrophonique, sur un écran géant. Tout au sous-sol, était installée une chambre sourde, avec un sol flottant en grillage, presque virtuel pour ne pas perturber les essais acoustiques avec des échos perturbateurs.
Au deuxième étage sous le niveau de la rue, c'était le Monde  du Silence, totalement isolé des échos de la vie en surface pour les mesures précises. En fait ces fondation profondes avaient bénéficiéé de ces excavations qui naquirent de l'exploitation  des carrières de pierre qui servirent à construire Paris.
 Le fameux mètre-étalon républicain en iridium baignait  pour l'éternité (?) dans son bain d'huile, grâce  à un appareillage de circulation qui veillait à sa température  constante. Depuis l'étalon de mesure est devenu la longueur d'onde en angstroems d'un gaz rare..
Loin des moindres mouvements du sol, les balances ultra précises, dans des cages en verre, ne pouvaient être manipulées que par des manettes extérieures.
Sur la photo ci-dessous, une de ces superbes anciennes balances est maintenant exposée dans le hall d'entrée du L.N.E.

img 1458 
Un jour,le Vieux, eut l'idée de construire un baromètre électronique de précision. Ce projet me fut confié. Il était basé sur l'idée simple d'un pont capacitif alternatif. Le principe étant la mesure du changement de la capacité formée par une électrode fixe et le niveau de mercure, comme dans un tube de Toricelli dont la hauteur suivait les variations de  la pression atmosphérique. Un moderne pont alternatif de Siemens était en notre possession récente, et c'était un travail taillé à ma mesure.

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Au bas de la photo, à gauche j'ai eu la surprise de voir exposé, entre autres appareils, ce fameux pont alternatif dont je m'étais servi !.
Un peu d'électronique, et de mécanique, j'étais enchanté. La précision  pourtant n'atteignit même pas le dixième de mm de mercure. Malgré le montage sur le plancher flottant, les moindres vibrations de mes pas dérangeaient les mesures.
J'avais comme aide, une belle jeune fille blonde, Que faire, j'étais jeune et à la force de l'âge, et comme disait la chanson elle m'avait tourné la tête. Notre séjour au centre de la terre, était un endroit isolé et idéal, pour conter fleurette...
Notre ami commun, D.... était du type solide et sérieux, et voulait finir rapidement sa thèse après avoir passé brillamment les durs examens de Physique du Vide et de l'Electronique du Professeur Boutry.. Il vint me voir,quand il eut à construire un ampli de hautes fréquences qui devait être dépourvu du minimum de bruit de fond parasite. Plus intellectuel que manuel, il venait demander conseil.  La dernière fois que j'eus de ses nouvelles, presque 40 ans passés, il travaillait chez Phillips,en Hollande, et m'expliqua qu'il avait été chargé d'un projet de "Minuterie électronique". J'aurai tant voulu reprendre contact avec lui !! . Des aventures, il y en a eu, mais une seule m'a laissé des souvenirs cuisants. Cela se passa aux...Abattoirs de la Villette pour une expertise sur des vibrations d'un bâtiment. Une des rares fois que j'étais sorti pour un essai extérieur, nous avions emprunté l'estafette Renault du Labo. G.... était au volant. Brusquement, je fus projeté en avant par un coup de frein intempestif. Instinctivement,j'essayais de me retenir en glissant ma main dans une encoignure de la portière. Comme ce modèle était du type "Service" et dépourvu d'habillement, les bords tranchants de la tôle emboutie m'entaillèrent  tous les doigts de ma main gauche. Horribile Visu, en plus de la douleur. Coup de volant de Griffon affolé en direction de l'hôpital. La, couché dans la salle d'opération, un homme en blanc, précautionneux , après avoir vérifié que les tendons par miracle n'étaient pas coupés, se mit à faire de la haute couture..Je revins à la maison, la main attachée à une planchette, enturbannée par un gros pansement, au grand effroi de ma mère. Quinze jours d'incapacité de travail, et de longues cicatrices, ce fut ma contribution à la Science !!....
Une autre émigrée, la plus ancienne, une Polonaise, qui travaillait dans le département de dosimètre radioactive, souvent me racontait sa vie dure en Pologne communiste, dans un minuscule logement où logeaient deux familles complètes. Ce L.N.E était vraiment un refuge pour les exilés que nous étions. Je ne sais si tu te souviens, mais un jour Bellier décida de ranger le grenier du Labo. Une chance inespérée de sortir du quotidien. Tout la haut, une galerie remplie des anciens appareils de mesures, couverts de poussière et de toiles d'araignées. Les appareils d'optiques désuets étaient les plus attrayants. Comme il fallait tout jeter, au passage je sauvais çà et là des lentilles de microscopes. Et je découvris sur une étagère, un grand rouleau de papier à dessin, l'esquisse au fusain du fronton (?) du chapiteau du L.N.E, que je me refusais à jeter  et l'emportais !. Il doit dormir dans une cave, à Paris, dévoré par les souris..
( Depuis je l'ai rendu à l'Archiviste du L.N.E.!)
L'intermède de midi, était toujours bienvenu: nous nous précipitions affames pour occuper ensemble une petite table. Le menu en fait était horrible. Toujours ces petites crevettes grises à la vinaigrette ,et ce quart de vin, qui laissait sur la nappe blanche des auréoles violettes, du picrate dans nos estomacs. Notre camarade S...., inoubliable ,toujours plaisantant, les cheveux en bataille, et la salive à la commissure des lèvres, vidait d'un trait son flacon, et aussi le mien. Il accompagnait toujours ses phrases par  son expression favorite  "bite de cheval" incompréhensible dans le contexte !
Te souviens-tu de la fois où il avait cassé dans sa poche une ampoule de dosimétrie radioactive?? Il était très diable et conduisait sa deux-chevaux, le pied au plancher, dans la descente des Grands-Boulevards. C'était au retour d'une "bouffa" à laquelle tu nous avait invité dans ton repaire de célibataire, si mes souvenirs sont bons. A toi d'éclaircir ma mémoire volatile. Une autre fête amicale eut lieu un soir au Labo même, dans cette rotonde magnifique. Nous étions tous les départements réunis pour célébrer le 1er Janvier.  Je n'étais pas tellement habitué à boire la Sangria qui était veloutée et coulait doucement dans mon gosier. Peut-être as tu des photos de cet évènement. Toujours est-il,que le lendemain matin G.... me fit remarquer (jalousement) que j'avais eu une main main un peu leste envers notre jeune et blonde camarade aux yeux bleus.....
Un jour, toute l'équipe fut invitée à l'O.N.E.R.A.,pour démonter  et récupérer les pièces d'un calculateur arithmétique, (au lieu de le transporter dans un musée !).
Il occupait et tapissait les 4 murs d'une grande pièce, étant constitué de  plusieurs centaines de modules bi-stable,(flip-flop), à base d'un tube de radio célèbre, la double triode 12AX7, qui en fonctionnement devaient dégager une chaleur tropicale. Le père Brun en vit tout de suite une future application pour la "Perruque": des préamplis .....
En dehors des travaux divers commandés au Labo, très tôt, le père Brun, que sa mémoire soit louée, me fit découvrir la signification du mot  "Perruque" en argot électronicien. Il était passé maître en  "Travaux Parallèles", et à la grande joie de G...., se mit à nous initier à  la construction d'une  télévision *, en noir et blanc à l'époque. Tous trempèrent dans cette "sale" affaire. Il faut dire,  qu'en ce temps là, l'écran à grande définition de 819 lignes de la première et seule chaîne, c'était encore un luxe. Le père Brun en construisit une pour lui, une pour G...,une pour B..,et une autre pour l'autre B...,et ainsi seul le concierge, un vrai cerbère qui veillait au pointage de nos cartes le matin, ne fut pas officiellement au courant de cette entreprise...
Et ainsi, les portes de l'atelier de mécanique s'ouvrirent pour le pliage du châssis, la soudure du cadre pour le tube de 20 kg, la découpe de la plaque en laiton de la platine Haute Fréquence.
Brun décida de tout construire, mécanique et électronique, et nous n'avions acheté que des pièces spéciales,comme le transformateur élévateur de très haute tension, et le tube cathodique lui-même. J'appris à calculer et à bobiner à la main le transfo d'alimentation et d'isolation sur son noyau Imphy. Et surtout à câbler la platine vidéo, ce qui demandait beaucoup de soin et d'adresse. C'était là tout le secret d'une image sans brouillard.
Malheureusement, le transfo de très haute tension irréalisable par nous, (20000 V), acheté à bon marché chez "Cicor", était en son temps de mauvaise qualité et de conception fragile , et souvent s'amorçait dans une déflagration effrayante !!.Il fut  changé par un autre, beaucoup plus cher de chez "Vidéon". Ainsi la voie royale était ouverte,  mais le grand portail, lui, était  bien fermé. Une fin d'après-midi, quelques lourds cartons sur chariot, comme les vedettes de Cherbourg prirent la poudre d'escampette, sous l'oeil interrogatoire du concierge, qui avait tout flairé mais ne voulant pas être plus royaliste que le Roi, laissa passer les voyous, pliés en quatre, à demi-étouffés de rire....

*Des années plus-tard, j'acquis une télévision moderne de chez Thomson et c'est sur son écran que je vis le film sur Anna Frank. Nous étions en famille assis devant la TV et je me souviens avoir mordu mes lèvres durant toute la projection pour ne pas éclater en sanglots.

D'autres jeunes se succédèrent chez nous pour faire leur thèse du C.N.A.M. L'un d'eux fut particulièrement apprécié, car son père vigneron embouteillait un vin blanc délicieux. Et chaque lundi matin, son fils revenant du pays nous  apportait une caisse de flacons magnifiquement ornés d'une vignette du vignoble...
L'ambiance générale était celle d'un corps de garde où pleuvaient des plaisanteries, toujours centrées sur le même sujet et pas très intellectuelles.. Mais c'est là que je fis mes premières armes techniques et mon habileté manuelle que j'y ai acquise, m'aida beaucoup plus tard dans la compréhension, conception et réalisation de projets  bien plus sophistiqués, car j'étais de ceux qui avaient mis la main à la pâte..

Un jour de Juin 1967, à la suite de la Déclaration de Guerre des 5 pays  de la Ligue Arabe contre Israel angoissé par une longue attente aux frontières, le charme fut rompu et je demandais un congé exceptionnel sans salaire de trois mois au L.N.E, qui après des dizaines d'années, n'est pas encore  près de se terminer...
Rapatrié, exilé, spolié, et fou de rage j'eus la chance d'être si bien accueilli et d'avoir eu des camarades comme toi, pour recommencer ma vie, et le 2ième volet de mes pérégrinations. Quant au 3ième volet, lsrael, comme dirait Rudyard Kipling,c'est une autre histoire...
Lors d'un voyage de retour à Paris, comme un saumon à sa source, je suis revenu au pied de ces marches monumentales, mais stupidement, n'avais pas osé pénétrer dans le saint des saints pour revivre mes souvenirs. Je n'aurais reconnu personne, les plus heureux étant depuis longtemps pensionnaires et les autres à l'ombre des Cyprès. Aujourd'hui, le L.N.E. d'après ses nombreux  sites sur internet a pris une si grande dimension que je me demande s'il s'agit de la même auberge où nous avons mangé, bu et presque dormi, mais surtout bien ri ensemble !!!!

 
Note: A Monsieur Denis Harel.
Laboratoire National d'Essais.

Cher Monsieur,
En flânant sur Internet,et sur le site Mesure-Expo,
j'ai eu la surprise de lire votre annonce* .
Ancien physicien de 1962 a 1967 au L.N.E. dans le département électronique,dont le chef était Michel Griffon,et sur une idée du Directeur d'alors Monsieur Bellier,
j'avais essayé de réaliser cette mesure de pression basée sur un pont capacitif électronique. Je l'avais installé au sous-sol de l'immeuble, placé sur un sol flottant, il était à l'abri des vibrations qui perturbaient la précision des mesures.
Le principe était bon,mais je ne me souviens plus si même la détection du dixième de mm de mercure avait été atteinte, il y avait un problème de filtrage.
Tout cela est de l'histoire bien ancienne,et cette génération est déjà, je pense, plus que pensionnaire!! J'ai eu le plaisir de voir combien s'est développé
ce Labo au fil du temps.L'architecture de ce bâtiment, avec ses colonnes et son fronton reste magnifique. Et ce fut pour moi,rapatrié d'Algérie,une grande
joie d'y avoir travaillé,avec d'excellents camarades. 
Bien cordialement.
Georges Lévy.(1938)

Voir le Pdf:

  http://www.123people.fr/ext/frm?ti=person%20finder&search_term=denis%20harel&search_country=FR&st=person%20finder&target_url=http%3A%2F%2Flrd.yahooapis.com%2F_ylc%3DX3oDMTVnYm9vZmhqBF9TAzIwMjMxNTI3MDIEYXBwaWQDc1k3Wlo2clYzNEhSZm5ZdGVmcmkzRUx4VG5makpERG5QOWVKV1NGSkJHcTJ1V1dFa0xVdm5IYnNBeUNyVkd5Y2REVElUX2tlBGNsaWVudANib3NzBHNlcnZpY2UDQk9TUwRzbGsDdGl0bGUEc3JjcHZpZANqcnpPNUdLSWNycjRJY0s3blZCNnNVX2VXODV4RDB5OGc0VUFDNVZl%2FSIG%3D148g3n2mb%2F**http%253A%2F%2Fwww.metrologie-francaise.fr%2Fpublications%2Frevue_francaise_metrologie%2F2008-01%2FP25-32-RFM13-Otal-balance-pression-manometre.pdf&section=document&wrt_id=274



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19 avril 2013 5 19 /04 /avril /2013 11:51

 

Suite à l'article "Allégories de la Métrologie" :

http://srv07.admin.over-blog.com/index.php?id=1285532119&module=admin&action=publicationArticles:editPublication&ref_site=1&nlc__=221357834193

dans lequel je décrivais un grand dessin au fusain* et jugeais que c'était une maquette pour sculpter le fronton du L.N.E  où figure un triptyque, je fus reçu lors d'un passage à Paris par l'archiviste avec qui nous avons échangé des souvenirs et qui m'avait promis de s'enquérir sur l'auteur de ces trois bas-reliefs qui ornent  le haut de l'immeuble. J'ai reçu il y a quelques temps ces précisions et je l'en remercie vivement :

"Lors de votre visite, je vous avais parlé de photographies relatives à la pose des fresques de Marcel Chauvenet, sur la rotonde.  

Avec retard, je  vous en livre deux, en pièces jointes. Je date la prise de ces photographies vers 1961". 

  *  A l'occasion de cette visite j'avais confié à l'Archiviste ce dessin pour qu'il en prenne soin.

               Le fronton et ses 3 maquettesSIMP104327512101016510

 

SIMP104327512101110230 

Si vous revenez sur Paris avant deux ou trois ans, je vous recevrai avec plaisir. Au delà, mon service aura certainement déménagé sur le site de Trappes, en banlieue parisienne. Notre établissement doit achever le transfert de ses dernières activités vers 2016-2017. Quel sera le sort du bâtiment, nul le sait pour le moment.Si vous avez le moindre souci pour lire les documents (format JPEG), vous pouvez toujours me contacter.

 

Cordialement.

 

marianne LNE

Hervé GUYONNET
Archiviste
Direction de la Recherche Scientifique et Technologique
Tél. : 01 40 43 38 66

Laboratoire national de métrologie et d'essais
1, rue Gaston Boissier - 75724 Paris cedex 15
Tél. : 01 40 43 37 00 - Fax : 01 40 43 39 65
Site internet : www.lne.fr 

   de : georges levy [mailto:levygeorges@gmail.com]
Envoyé : lundi 23 avril 2012 16:51
À : Guyonnet Hervé
Objet : Allégories de la Metrologie,

     Bonjour Monsieur Hervé Guyonnet, 

Je viens de terminer ma courte escapade à Paris, et je vous envoie donc ce message par courriel, l'imprimé vous l'ayant confié lors de notre rencontre au L.N.E. Je vous remercie de m'avoir consacré ce moment pour moi précieux à retrouver, évoquer et préciser mes souvenirs. J'espère que ce dessin à l'auteur inconnu éveillera la curiosité des archivistes dont vous faites partie. 

Bien cordialement, 

Georges Lévy.

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Il me parait important de préciser que ce texte que vous allez (peut-être!) lire, n'est pas le fruit de mon imagination dans une vie antérieure et que  ces personnages qui me furent chers (même s'ils sont devenus des fantômes pour certains), riront de la-haut ou ici-bas en se rappelant le temps de leur jeunesse.

  L.N.E.

      Cher Jacques, pied-noir, es'mmaien, Ingénieur informaticien, et ancien bien conservé du C.N.A.M (nourriture de l'esprit) et du L.N.E (notre pain quotidien) !  
Je suis  tellement occupé avec mes petits enfants, que je n'ai pas encore eu l'occasion de coucher sur le papier mes souvenirs du Labo , il en est temps.
Ce bâtiment de la rue Gaston Boissier, est une merveille d'architecture. Cet historien (1823-1908), fut un Académicien amoureux de la Rome Antique. C'est  peut-être pour cela que le fronton du bâtiment est soutenu par d'immenses  piliers cylindriques, et qu'un large  large escalier accueille ses fidèles comme un temple romain.....
Lorsque je fus invité dans le bureau de Monsieur Bellier pour  l'entrevue  de mon admission au Labo, j'eus à franchir une porte capitonnée que poussa sa secrétaire, et fouler une moquette verte, épaisse et moelleuse, avant de m'asseoir sur un huitième de fesse, sur un profond fauteuil de Ministère des Affaires Étrangères....

Le superbe escalier d'entrée menant aux laboratoires.

Remarquez les très belles volutes en fer forgé style Art Moderne.

On se croirait dans un musée... 

Sous les vitrines sont exposés les anciens étalons de mesure de poids et de volume.

 

img 1456

 

 

J'étais extrêmement impressionné par cet apparat, mais le "Vieux", m'accueillit  par des mots très favorables, lorsque frais rapatrié, je ne pouvais cependant me retenir imprudemment d'évoquer l'Algérie. Cela ne l'a pas empêché de m'enrôler à un grade de misère, mais non seulement je le lui pardonne, mais le remercie car ce poste fut pour moi une planche de salut. Sans compter qu'il fut un Directeur tolérant qui ferma  les yeux sur bien de nos chahuts. Le chef du mini-département électronique,  Michel Griffon, supervisait quatre  agents techniques dits "physiciens" et un Ingénieur électronicien, outre les quelques élèves qui faisaient un stage pour passer leur thèse d'ingénieur CNAM.  Le technicien principal, "le père Brun", un homme trapu, taillé dans le bois dur de la vie,  nez rouge bourgeonnent et fort comme  un bûcheron, qui avait travaillé chez la Société Labinal, était un agent-maquettiste très doué. De ses gros doigts gourds, sortaient des câblages, des torons exemplaires, épais comme le bras, et dont un oeil averti pouvait non sans plaisir suivre les fils  parallèlement d'un bout à l'autre des connecteurs  Souriau. C'est lui, cet ours diplômé de l'école de la rue, ce vrai parisien qui passa sa  jeunesse dans la "Zone" près des "Fortifs" m'enseigna  tous les secrets de la construction électronique. Car aussi étrange que cela peut paraître, un bon électronicien doit avoir aussi des notions de mécanique et d'architecture pour  mener à bien son projet. Il se moquait de mes premiers travaux, qu'il nommait "perchoirs à mouches", et m'expliqua l'art du câblage, comment éviter les mauvaises soudures et les mauvaises masses qui provoquaient les pannes baladeuses et des signaux parasites par induction. Il introduisit au Labo, la technique pour faire de  toutes pièces des prototypes de  circuits imprimés, de leurs dessins sur le support de cuivre, au développement au bain d'acide. Grâce à lui je construisis ma première "perruque" (1), un poste de radio à transistors: ces petite merveilles miniatures de semi-conducteurs au Germanium, grosses comme des têtes d'allumettes, au corps de verre à 3 pattes peint en noir de chez "Sisco", qu'il fallait sélectionner à l'époque pour appareiller leurs paramètres, les fameux OC44 (RF), OC71 (Driver),et 2 OC72 (Push-Pull). Lorsque la peinture noire s'écaillait, la lumière modifiait les caractéristiques du transistor qui se transformait en photo-diode !...

Avec un seul tournevis, sans générateur et appareil de mesure, ce génie manuel  réglait et ajustait à l'oreille les transfos  moyenne-fréquence 455 Kcs, et le poste, comme par miracle chantait dans ses mains. Ce sont des souvenirs inoubliables. Il était l'heureux père de dix enfants, (au moins), et chaque année il n'osait plus en dire le nombre exact ! Habitant près du Parc Monsouris, il aimait évoquer ses souvenirs de jeunesse dans les limites de Paris, la "Zone" dangereuse et campagnarde.
Il venait au travail en cyclomoteur, et un matin qu'il franchissait quelques mètres sur le trottoir pour ranger son "Vélosolex", un agent de police embusqué lui rédigea une "contre-danse" pour avoir pris un raccourci sur ces dalles. Il débarqua, furieux et humilié à la fois, comme un moderne Crainquebille grevé par cette amende.  Il aimait rappeler que pendant la 2ième guerre mondiale il fut mobilisé jeune au S.T.O, ( Service Travail Obligatoire) pour coudre des filets de camouflage. Et il me parlait de "Résistance". Bizarre autant qu'étrange, tous étaient soudain devenus des F.F.I. (Forces Françaises Intérieures ) qui germèrent  avec l'arrivée des Alliés et de Leclerc F.F.L. (Forces Françaises Libres) aux portes de Paris... Il est vrai qu'à  Vanves-la-Rouge où j'ai logé, beaucoup de rues sont aux noms de "Résistants fusillés par les nazis". Ce vrai parigot était  un excellent homme qui souffrait de son manque d'instruction théorique mais dont l'expérience valait bien des diplômes, et j'avais de l'admiration sincère pour ce phénomène de la butte Montsouris. Un appétit féroce lui faisait dévorer de la viande de cheval...ce qui expliquait sûrement son  visage chevalin allongé et son sourire très dentu et bon à la fois. Une première crise cardiaque inévitable à ce régime ne réussit pas à l'abattre.  M...., le Chef de ce groupe coloré, traînait la patte, à la suite d'une poliomyélite qui l'attaqua dans sa jeunesse. Ce personnage en blouse blanche réglementaire avait un tic: il regardait souvent ses deux doigts croisés, sans s'en apercevoir. Brun le taquinait  malicieusement toujours sur sa "patte folle". Ils étaient opposés, mais comme les transistors npn et pnp, étaient aussi complémentaires. L'un était la Tête, et Brun, les Jambes,  comme  à  la célèbre émission de  T.V. d'alors. Michel avait étudié la Radio en cours du soir au CNAM, et son travail était d'entretenir, et dépanner les nombreux appareils de mesure du L.N.E., une occupation très variée où il excellait. Un heureux caprice scientifique de Bellier, fut d'introduire dans notre salle, un ancien calculateur analogique de chez "Dervaux", qui devait servir aux Travaux Pratiques du CNAM après rénovation de notre part. Les opérations étaient basées sur des modules amplificateurs continus à lampes miniatures du type noval, à  faible dérive, rangés dans une baie, avec un pupitre d'interconnexions manuelles. La dérive de ces amplis avec la température, et aussi dans le temps, était le grand problème. Calcul intégral et différentiel était opéré par des simulations de tensions, qui attaquaient l'entrée d'ampli opérationnel monté en intégrateur ou différenciateur ou sommateur ou soustracteur pour effectuer les opérations de base et  donner les résultats mesurés en tensions qui en étaient la transformation. L'échauffement causait des dérives, et le composant principal dans la boucle, une capacité isolée à l'Araldite, la meilleure de l'époque, avait des fuites électriques avec le temps. et sa propre résistance parasite quoique très grande n'était pas évidement pas infinie. Bien sur le problème était aussi que l'ampli à tube n'était pas idéal et ne suivait pas tout à fait la théorie comme sur le papier. Pourtant on obtenait des résultats  proches de la théorie, dérivés,  intégrés, multipliés, divisés, additionnés ou soustraits par rapport à la tension d'entrée. C'était l'époque héroïque du calcul analogique, avant que tout ne soit digitalisé, coupé en rondelles de "0" et "1". ( Le problème, c'est qu'il y a aujourd'hui trop de "zéro"et pas assez de "héros", mais c'est une autre affaire !!). Là je dois renvoyer le lecteur à un site que je viens de retrouver, et qu'il faut lire avec beaucoup de considération, je dirais même presque au garde-à-vous, tant il mérite le respect du génie humain.    

                   http://www.paulbraffort.net/science_et_tech/

et choisir la partie: "Les digitales du mont analogue ". Je cite :

"Les solutions à obtenir sont des fonctions d'une variable réelle  le temps. Les machines analogiques sont universelles en  un sens particulier;  elles sont constituées  d'un certain nombre  (à  l'origine quelques  dizaines,  plus  tard  de centaines) de composants fonctionnels (ou actifs) standard :

- Sommateurs
- Intégrateurs
- Multiplicateurs
- et de composants relationnels (ou passifs)   :
- Potentiomètres
- Générateurs de fonctions

Programmer une machine analogique, c'est effectuer le câblage d'un "panneau d'inter-connexion"  (tout comme pour les premières machines "digitales"),  puis "afficher"  une valeur numérique de tension électrique aux potentiomètres. On a alors dessiné, puis implémenté un schéma analogique qui,  s'il est correct, permet de simuler le comportement d'un système d'équations différentielles.

Il s'agit bien de simulation  puisque la constitution de l'élément "intégrateur" est fondée sur la loi d'évolution dans le temps d'un courant électrique qui traverse un ensemble résistance-capacité qui  furent  étudiées par Kelvin et  sont à  l'origine des "analyseurs       différentiels", ces iguanodons de l'Informatique!..{"

 -Je saute donc les explications trop techniques pour en arriver à la machine électronique qui réalisait ces opérations analogiques.
Là, il est question des Ingénieurs  Dervaux et Gired, créateurs de ce calculateur, qui en fin de carrière vint échouer entre nos mains.
Le re-câblage, et la modernisation par de nouveaux composants de ce monstre antédiluvien (des années 50) nous fut confié. Mais ce fut le père Brun qui transforma cet amas de filasse derrière les pupitres en un calculateur qui fonctionna parfaitement et qui servit aux élèves du CNAM pour leurs Travaux Pratiques dans notre salle. Brun avait auparavant travaillé chez Dervaux et donc connaissait aussi Girerd. Il nous racontait souvent, qu'en plein milieux du travail, et pour délasser tous les techniciens, le célèbre Ingénieur et artiste Paul Braffort qui avait plus d'une corde à son arc avait coutume de sauter sur une table de travail, pour entonner une chanson, accompagnée de sa  guitare. Quelle  rare ambiance !!.

Paul Braffort 45tours recto
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26 février 2013 2 26 /02 /février /2013 14:35

L'arrivée de Jacques Soustelle, nommé nouveau Gouverneur de l'Algérie, date du 25 Janvier 1955.
Mais l'accueil de Jacques Soustelle en Algérie, ne fut pas aussi enthousiaste que son départ...loin de là ! Il fut reçu avec suspicion et même avec tous les horreurs d'une presse, comme l'Echo d'Alger, qui traîtreusement transforma son patronyme original pour en imaginer une consonance israélite locale pour mieux ainsi attirer les foudres de la population anti-sémite, comme si nous étions revenus à la triste époque fasciste des Drumont et Max-Régis, des années 1890, ou des Lois de Vichy de 1941.

Geoffrey Adams décrit avec précision l'accueil que le Journal  "l'Echo d'Alger" fit au socialiste Jacques Soustelle qui fut pendant son séjour un courageux partisan d'une Algérie Française, avant d'être "rappelé" à Paris....voici ce qui est écrit en anglais:

  1. Give me a profile shot of this faggot(1) of
  2. Ben Soussan(2), OK? That way people will see
    that he's a Jew! Even if he calls himself Soustelle!" The attempt to portray ...

Passage extrait de :
http://books.google.co.il/books?id=shLckZmAq7wC&pg=PA29&lpg=PA29&dq=soustelle+soussan&source=bl&ots=Fh1wFakAjb&sig=g0_9q2kXl9kdD74_nIFLS0SNgoc&hl=en&redir_esc=y#v=onepage&q=soustelle%20soussan&f=false

Je traduis l'esprit de ces quelques lignes, page 29 du livre de Goeffrey Adams :.

"L'accueil réservé à Soustelle dès son arrivée à Alger, fut loin d'être amicale.
L'éditeur en Chef de "l'Echo d'Alger", dont le propriétaire était  le réactionnaire Alain de S
érigny, observa le Gouverneur Général à son arrivée et fit remarquer au photographe du Journal: "Hé, là, fait-moi une photo de profil de ce pédé(1) de Ben-Soussan, O.K.?,
De cette manière les gens verront que c'est un Juif ! Même s'il se nomme lui-même "Soustelle"(3).
Le nouveau Gouverneur Général , était naturellement afflig
é  de ces vicieuses attaques  contre lui.
Il se demanda: " En serais-je réduit à révéler mon passé Cévénol,  (une référence à la révolte des paysans Protestants contre Louis XVI, durant la première décade du dix-huitième siècle), peut-être même en produisant mon Certificat de Naissance à Montpellier ? ."

  Je viens de lire que Soustelle est le nom d'une petite commune de France. En effet :

"Soustelle est un petit village français, situé dans le département du Gard et la région du Languedoc-Roussillon. Ses habitants sont appelés les Soustellois et les Soustelloises. La commune s'étend sur 11,1 km² et compte 154 habitants depuis le dernier recensement de la population datant de 2005. "
   

Vous pourrez maintenant à votre aise juger du nez de Jacques Soustelle, en gros plan, grâce à ce film de l'INA où il figure en 1959.:

http://www.ina.fr/histoire-et-conflits/decolonisation/video/CAF91048801/interview-de-monsieur-soustelle.fr.html

 

  Jacques Soustelle était issu d'une vieille famille de Protestants.

Cette carte postale du Temple Protetant dans le vieil Alger date de 1911, Nombreux étaient les fidèles immigrés de France  de Suisse ou d'Allemagne.

 

Alger Temple Protestant en 1911

 

En 6eme-A2, au Lycée Émile-Félix Gautier (oui, sans "h" !), j'avais un camarade de classe dont le père était le Pasteur Bourgey. Nous rivalisions à écrire les meilleures Rédactions, et je rougissais de plaisir (et non pas de vanité), quand notre excellent Professeur de Français-Latin Chiappore lisait quelquefois à la classe attentive ma prose toujours colorée et spontanée, alors que celle de mon ami était toute excepte de faute grammaticale et était aussi autant parfaite qu'austère ! C'est pourtant lui qui me battit au poteau en fin d'année en recevant le Premier Prix et me laissant ainsi le deuxième...Mais à vrai dire l'important pour moi était d'avoir un ami fils de Pasteur qui consentait de parler sans arrières-pensées avec un petit camarade Juif qui avait été déjà maintes fois échaudé  dans ce monde où les enfants engrangent et ressortent les idées préconçues  de leurs parents....

Pendant les années noires de 39/45, l'Armée du Salut venait souvent frapper à notre porte porter la Bonne Parole à ma mère, profitant de l'absence du père de famille mobilisé. Le prosélytisme Protestant ne réussit à recruter dans ses rangs qu'une lointaine cousine qui, et depuis cela m'avait frappé, chaussait ses pieds-nus par les temps les plus froids de sandales très rudes...

Ce Temple se situait dans le même quartier que la Synagogue de la rue de Dijon, aussi à Bab-el-Oued. Mais dès 1962, cette Synagogue fut dévastée, son toit a brûlé et ses motifs muraux saccagés par les voyous. J'ai encore le souvenir du mariage de ma cousine en 1954, quand ce Temple resplendissait alors de ses Lumières.

 

Synagogue de la Rue de Dijon. Babel-Oued

 

Je terminerai cet article par ce qui fut pour nous la fin d'un monde, c'est à dire le départ de Jacques Soustelle, Gouverneur Général de l'Algérie, le 2 Février 1956.

 

Caractéristiques de l'El-Djezair : 

http://martin.michel47.free.fr/genealogie/documents/el_djezair2.htm


 

Bateau EL DJEZAIR

 

Du familier paquebot El-Djezair, on ne pouvait de l'extérieur qu'admirer son allure avec les superstructures éclatantes comme un uniforme blanc de Gouverneur Général ! Mais sa coque était bizarrement  peinte de couleur noire de corbeau, un mauvais présage..A mon humble avis ce sombre choix n'était pas du meilleur goût : un bateau qui fut baptisé de ce nom aurait mérité de rappeler dans son entier "Alger-la-Blanche".  Mais connaissiez-vous ses qualités nautiques déplorables, ainsi que le décrit dans "Alger-Roi" et "l'Algérianiste", le Commandant Claude Roudière ! Après cette lecture technique essentielle vous imaginerez plus aisément le départ de Jacques Soustelle et de son épouse sur une mer déchaînée comme la foule qui essaya de les empêcher de s'embarquer. Un récit saisissant dans :

http://alger-roi.fr/Alger/transports/maritime/textes/5_petite_histoire_navigation_mixte_chapitre4_algerianiste108.htm

  Photo du départ de Soustelle dans le journal l'Echo-d'Alger :

" C'est dans un char de combat qu'il a du gagner l'El-Djezair, où  il s'est hissé par une petite échelle métallique..."

 

Soustelle-Depart Echo d'Alger

 

Mon souvenir de ce jour :

  J'avais de ma fenêtre avec vue sur une partie du port, filmé avec une caméra  8m/m "Ercsam" à ressort, le départ du bateau où était à bord Jacques Soustelle. Il y avait des vagues énormes, le bateau plongeait et remontait dans la tempête et le franchissement de la passe  me parut de loin comme un miracle. La traversée prit beaucoup plus de temps que d'ordinaire comme si la Méditerranée française voulait le retenir...
Ce film en Kodachrome d'une petite minute en tout, a lui aussi fait naufrage avec mes souvenirs....
En noir et blanc cette fois, j'avais voulu filmer Guy Mollet ce 6 Février (à ne pas confondre avec le sinistre 6 Février de 1934 !). Je me souviens du piper-cub qui survolait de très haut la manifestation. Je voulus acquérir rue Michelet un film vierge au Studio Delorme (?) je crois, mais n'avais pas d'argent sur moi. Alors j'ai proposé à la vendeuse de laisser ma montre (qui ne valait pas grand-chose) en caution, lui expliquant que les circonstances l'obligeaient...Ainsi fut fait ! (Le lendemain je suis retourne payer mon achat et récupérer ma montre). Une occasion pour  remercier cette compréhensive employée si au grand hasard elle venait à lire ces lignes...
  Ce film aussi a disparu, je ne sais s'il faut le regretter.....

  Avec le départ de Jacques Soustelle, le dernier Gouverneur ardent défenseur de l'attachement indivisible de l'Algérie à la Métropole, ce fut le début des coups mortels portés à notre province par les politiciens de l'amère patrie. En Mars 1962, ils clouèrent définitivement le  cercueil de l'Algérie Française en abandonnant lâchement de  nuit 150000 Harkis à qui la France avait confisqué auparavant  leurs armes d'auto-défense. Sur ordre généralissime, les populations européennes, et les musulmans fidèles furent abandonnées aux couteaux des assassins. Les foules fuyaient le carnage en essayant de s'embarquer dans les ports après avoir abandonné derrière elles, tout leurs biens en catastrophe.  

En Métropole, les syndicats communistes organisaient des grèves pour ralentir au maximum l'arrivée "encombrante" de ces familles. Les  ancêtres "Turcos" avaient combattu glorieusement les Prussiens en 1870. Les descendants des Grands-Pères et Pères qui avaient abreuvé les sillons de la France envahie en 14-18 et 39-45 étaient abasourdis par cette situation Kafakaiesque qui  les transformait en colons-assassins  et glorifiait les tueurs du F.L.N. et les porteurs de valises de la France gaullienne. Rapidement, les Églises, les Synagogues, furent profanées et transformées en Mosquées, et les cimetières subirent les outrages ultimes des fanatiques qui éventrèrent les tombes en éparpillant les ossements.L'Etat Civil des Français d'Algérie ne fut même pas dans sa totalité transporté en métropole ! Il manque encore à ce jour ces registres !

J'ai lu, je ne sais plus où, que dans les jours de folie qui précédèrent la livraison de l'Algérie au F.L.N que les registres d'Etat-Civil de la Ville d'Alger situés à la Grande Mairie, boulevard Carnot, furent en secret et de nuit photocopié s dans les cales d'un navire en partance, et remis en place à la Mairie avant le lever du jour !!.

 

Notes :

 

(1) La traduction de "faggot" sur Wikipedia : Faggot, often shortened to fag, is a pejorative term broadly meaning an effeminate gay man = "Pédé"

(2) Ben-Soussan: nom associant le terme arabe "ben" (fils) et Soussan qui correspond à shôshannah (lys ou rose) en hébreu.

(3) La férocité des anti-sémites à Alger était telle que leurs inventions n'en n'étaient  que plus ridicules, mais elles  faisaient racine facilement chez les pauvres d'esprit..

 

(4) La brillante biographie de Jacques Soustelle, sur le site de l'Academie Francaise:

Jacques SOUSTELLE Élu en 1983 au fauteuil 36  

Prédécesseur : Pierre GAXOTTE Successeur : Jean François DENIAU

Commandeur de la Légion d’honneur
Médaille de la Résistance avec rosette
Professeur au Collège de France
Homme de lettres
Homme politique
Ethnologue

Biographie

Né le 3 février 1912, à Montpellier.

Jacques Soustelle a fait ses études (lettres, philosophie) à Lyon. Reçu premier au concours de l’École normale supérieure en 1929, il est diplômé d’ethnologie (1930), professeur agrégé de l’université (1932) et docteur ès lettres (1937). Chargé de plusieurs missions scientifiques au Mexique de 1932 à 1940, spécialiste des civilisations autochtones de l’Amérique, il a été sous-directeur du musée de l’Homme, chargé de cours au Collège de France et à l’École nationale de la France d’outre-mer. Il est professeur à l’École des hautes études en sciences sociales depuis 1951.

Après l’armistice de juin 1940, il rejoint les Forces françaises libres à Londres. Il est chargé par le général de Gaulle d’une mission diplomatique en Amérique latine (1941), puis assume le commissariat national à l’Information (1942).

Les principales étapes de sa carrière politique sont énumérées ci-après : directeur général des Services d’action en France, à Alger (1943-1944). Commissaire de la République à Bordeaux, député à la première Assemblée constituante, ministre de l’Information, puis des Colonies (1945), Secrétaire général du RPF (1947). Député du Rhône (1951), réélu en 1956, 1968 et 1973. Gouverneur général de l’Algérie (1955-1956). Ministre de l’Information dans le gouvernement de Gaulle (1958). Ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé du Sahara, des DOM et TOM et des Affaires atomiques dans le gouvernement Debré (1959-1960).

Ayant démissionné, il séjourne à l’étranger de 1961 à 1968, puis rentre en France après avoir écrit plusieurs ouvrages scientifiques ou politiques.

Réélu député du Rhône, siège à l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (Strasbourg) et à l’assemblée de l’Union de l’Europe occidentale (1973). Chargé par le président de la République d’une mission parlementaire auprès du premier ministre, il dépose en 1975 un rapport sur la recherche française en anthropologie et archéologie. Élu président du “Groupe PACT” (Application des techniques physico-chimiques à l’archéologie) du Conseil de l’Europe à Strasbourg (1975). Missions économiques et culturelles au Mexique et en Amérique du Sud. Reçoit le prix international Alfonso-Reyes (1981). Membre du conseil d’administration des Alliances françaises. Président du Centre universitaire européen pour les biens culturels (Ravello, Italie) relevant du Conseil de l’Europe à Strasbourg (1982).

Élu à l’Académie française, le 2 juin 1983, au fauteuil de Pierre Gaxotte (36e) et reçu sous la coupole le 24 mai 1984 par Jean Dutourd.

Mort le 6 août 1990.

 

 

------------------------------------------------- Fin d'une province jadis française ---------------------------------------------

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31 janvier 2013 4 31 /01 /janvier /2013 11:52

 
    Teniet-el-Had (1) est un endroit magnifique dans les montagnes de Kabylie, qui est célèbre pour ses forêts de cèdres et chênes verts. Son lieu de naissance et l'histoire de sa piqure par un scorpion dans sa jeunesse de sauvageonne aux pieds nus, c'est ce qu'il me reste de la biographie de Suzanne Dali, avant qu'elle ne s'établisse à la Casbah d'Alger et ne commence à travailler chez les familles bourgeoises comme nous, pour gagner son pain quotidien et même plus.

 

ALBERT CAMUS - misere de kabylie

 

Elle s'enorgueillissait dans ses très rares moments de confidences avec maman d'avoir un ami, qui était  Journaliste à Alger-Républicain (2). ll faut dire qu'elle était fort belle avec sa chevelure fournie teintée au henné, qui s'échappait en grandes boucles lorsqu' elle enlevait son foulard. Grande et forte, ses lèvres larges s'ouvraient, quand elle riait avec moi, sur des dents éclatantes. Lorsque elle arrivait le matin, elle ôtait d'abord son voile brodé d'un liseré en fil d'argent et se déshabillait de  son haïk immaculé dans la cuisine en fermant la porte à clef, car j'avais déjà grandi et elle ne me permettait plus de jouer avec elle comme auparavant, en me blottissant sous  ce voile de coton qui sentait bon son corps chaud.
"Par quoi commencer," questionnait-elle, s'adressant malicieusement à ma mère, en considérant de ses grands yeux soulignés au khôl  la pièce principale ensoleillée : "Monsieur se fait la gym !"...
En effet à cette heure, papa faisait dans le salon, ses exercices de gymnastique suédoise, torse nu, avec de lourdes haltères, avant de continuer par des tractions, en se pendant à une barre ancrée dans le chambranle de la salle de bain.
-Aujourd'hui, nous "faisons les tapis", s'écria ma mère, il fait déjà chaud !
Chaque année, c'était le même cérémonial. Avant l'arrivée des Français Le Dey d'Alger avait un Palais d'Hiver et, avec les premières chaleurs, emménageait au Palais d'Eté, ou dans une de  ses villas fraîches d'El-Biar, mais chez nous comme pour les autres algérois, avec la tiédeur printanière, commençait la transhumance...locale des tapis. Le sol des appartements était carrelé de belles mosaïques, comme dans les pays méditerranéens. Durant l'hiver froid et humide, ce carrelage nu et glacé aurait été la source de refroidissements sans ces nécessaires tapis qui prenaient, hélas, de la place et de la poussière.
Le jour "J", c'était aussi le jour des... journaux accumulés pour servir à emballer, pour l'été, ces tapis à poils longs ou courts. Imaginez ce travail de forçat ! Maman et Suzanne étaient tout juste assez à deux pour, à la fois, soulever le piano à queue et tirer de côté le tapis persan, d'ailleurs un peu percé, (mais son côté abîmé était caché par les gros pieds du Gaveau, et en sauvait la face), alors, je venais à l'aide en tirant par ses franges cette merveille récalcitrante qui découvrait un carrelage...terni.
Il fallait ensuite retourner ce tapis et lui administrer une sévère correction avec une tapette de jonc souple qui lui faisait rendre ses grains de sable accumulés tout l'hiver. Il était  trop lourd pour être suspendu à la balustrade du balcon, comme les petites carpettes des chambres. Quel tapage dans la maison, et quel remue-ménage avec les meubles déplacés de côté, l'appartement se transformait en chantier.
Ensuite venait le brossage à genoux, maman et Suzanne, côte à côte,  nettoyant  à l'eau légèrement vinaigrée pour raviver, sans les abîmer, les couleurs de ces dessins symétriques, mais tous différents car tissés à la main. Combien d'heures ai-je passé dans mon enfance à promener sur ces motifs enchevêtrés mes voitures miniatures, ou simplement à lire allongé les Cent et un Contes Merveilleux de la collection Nathan, certainement plus qu'à faire mes devoirs de maison !..
Il était temps de terminer ce travail d'Hercule, avant de préparer le déjeuner de midi. A la force succédait maintenant l'habileté. Il s'agissait à la fois de rouler le tapis rajeuni de la manière la plus serrée, tout en déployant les journaux  de la  République avec des boules de naphtaline qui me chassaient du salon. Le problème étant d'effectuer cette opération sans que le tapis, en glissant de côté, ne devienne un cône déformé au lieu d'un solide cylindre. Le rouler en synchronisation demande aussi un apprentissage, et ensuite, avant qu'il ne se défasse, la ficelle, passée sous son ventre, le liait comme un gigot avant la cuisson. Le tapis prisonnier soulevé à deux, lourd comme un billot de bois, devait être monté deux étages plus haut, dans une remise sous la terrasse pour passer six mois d'été au frais et à l'abri des mites !
Maintenant, l'appartement pouvait résonner du trot des petits pieds nus, une sonorité  inoubliable de l'enfance.
J'aimais me réfugier dans cette cuisine minuscule qui, en plus, était triangulaire: l'architecte avait dû transformer ses erreurs de calcul en parent pauvre de l'appartement. Souvent, je demandais à Suzanne de m'apprendre quelques mots en arabe, mais je n'arrivais pas à les prononcer correctement, avec l'accent guttural et ces séances déclenchaient nos rires. Une fois, ,je voulus expérimenter mes connaissances sur le vif. En me tenant dans le tram des T.A. (Tramways Algériens) au plus près du wattman, pour admirer la circulation automobile et pédestre que le conducteur écartait à grands coups de sonnette qu'il actionnait de son pied, je lui jetais un "mchi !!" vigoureux que je croyais être le mot encourageant "plus vite". Mais le conducteur se retourna et me dévora cru de ses yeux noirs, je lui avais dit "va t'en !" ....Le gland de son fez rouge en vibrait de colère !
Suzanne Dali ne travaillait jamais seule. Avec maman, elle s'occupait du linge qui bouillait dans la grande lessiveuse posée sur le réchaud de la cuisine, mais elle  savonnait les grandes pièces de draps sur la planche de bois calée en travers de la baignoire. Le savon de Marseille embaumait la maison, l'activité ces jours-là était telle que je n'avais pas intérêt à fouiner dans les jambes et me réfugiais dans ma chambre bleue. En ravivant ces souvenirs domestiques, je ne peux qu'admirer une fois de plus la vie difficile du train-train d'une maisonnée, sans les appareils ménagers de maintenant, ces robots qui en libérant la femme,  l'obligent à aller dans des salles de culture physique pour veiller à sa musculature...
Le jour de gloire de Suzanne était celui des veilles de fêtes, où elle était la spécialiste de la cuisson du Couscous à la vapeur, dans la double vaste jatte d'argile vernissée. Elle même pétrissait  cette graine qui devenait, une fois cuite, la base de tous les mélanges de légumes, de viande, de pois chiches, de sauces piquantes, mais moi, je préférais le couscous au sucre, qui gardait ainsi sa blancheur originale. Quand je pense à ces jours simples et heureux, je vois, avec le recul des années, une situation qui nous semblait si naturelle et maintenant à mes yeux, étrange, mais au moins chez nous la condition ancillaire de la servante était plus que satisfaisante..
 Suzanne apportait les plats du fourneau, au coup de sonnette de maman, et retournait déjeuner à sa place dans la cuisine, assise sur la chaise de  paille, tout en surveillant une autre marmite sur le feu..? Gling,Gling !!
-Suzanne vous pouvez débarrasser et apporter la coupe de fruits ?
-Merci, s'il vous-plaît, la carafe d'eau est vide !....
Je dois dire que je me dévouais, histoire de pouvoir me lever de table et de m'esquiver faire un tour à la cuisine. Suzanne Dali ne se servait pas des couverts argentés qui ornaient notre table, un héritage de grands-parents. Non, elle avait sa fourchette simple qu'elle rangeait dans le tiroir de la table de la cuisine, avec le couteau à manche d'os. Les couverts précieux, les couteaux surtout, c'est  elle qui les astiquait avec de la poudre à récurer et un bouchon de liège pour ne pas trop faire de rayures, après que la vaisselle nettoyée et posée dans l'égouttoir de zinc incliné évacuait un filet d'eau dans l'évier de faïence. Non, elle n'était pas déguisée en soubrette à dentelle blanche et même faisait un peu parti de la famille, puisqu' elle en connaissait tous les secrets !
 Mes enfants, à qui je raconterai cela, en seraient ébahis. D'abord parce qu'une servante  humiliée n'a jamais existé chez nous et que cette quotidienne  et criante différence de classes les aurait immédiatement pousser à manifester dans la rue !!!(là, j'extrapole un peu trop loin !)
 Peu importe que j'explique à ces jeunes que leur Grand-Mère, en dehors de ses "Mardis" où elle recevait du "Grand Monde" ait, elle aussi, travaillé toute la semaine avec notre  bonne Suzanne, ils ne le comprendraient pas.
Alors, je préfère ne rien leur dire !!
Il ne faut pas croire que l'idylle régnait toujours dans ces jours de la semaine. Il était des fois où j'étais l'amorce qui mettait le feu aux poudres. Un jour,  j'avais réalisé mon rêve guerrier de posséder, moi aussi, un fusil, car sans lui , et sans  un cheval rapide et fidèle, un homme n'est rien.
Avec une silhouette  en bois, et un clou planté à l'extrémité du canon qui retenait un élastique, j'avais réalisé un fusil à un coup qui tirait des carrés de papier pliés en deux , à la manière d'un tire-boulette. Caché sous la table de la salle à manger, un poste de tir idéal, je chevauchais la traverse qui reliait les pieds de la table. Et ainsi je voyais passer les jambes nues et le chiffon de par-terre qui se déplaçaient ensemble à bonne portée. Clac ! sur  une cheville  ancillaire m'aurait valu une claque autre part si je ne m'esquivais à temps, et une fois que j'avais trop abusé de sa patience, Suzanne déclara qu'elle en avait assez ! Que chez sa patronne précédente, Madame Sadoun,(3) ses gages étaient meilleurs et le travail moins difficile !! En général, le conflit éclatait les jours de chaleur où  l'électricité statique  dans  l'air sec  agit négativement sur les nerfs  ..
Mais la brouille ne durait pas longtemps, chacune étant devenue dépendante de l'autre.!!
Une fois, Suzanne Dali nous invita chez elle, dans la Casbah, une occasion excellente pour fêter la fin du Ramadan . Nous devions traverser le marché de la rue Randon si achalandé en ces jours.

 

                                                         Léon Cauvy , "Marché dans la Casbah"

 

Alger Leon Cauvy Marche dans la Casbah

 

 

Je ne sais pas comment ma mère réussit à trouver l'adresse de Suzanne !!.

 

             Camus dans "Noces" :"Le port est dominé par le jeu de cubes blancs de la Casbah"....


          Un dessin de Charles Brouty...que j'ai colorié..

charles-brouty.vue-de-la-casbah.jpg

 

Je ne me souviens que d'escaliers qui commencèrent rue Bab-Azoun et qu'après un dédale de ruelles nous avons débouché dans une pièce très fraîche, récemment chaulée. Elle avait une percée qui dominait les terrasses et au fond, la vue imprenable sur la mer frisée d'écume. 

 

  Charles Brouty (4), "Vue de la Casbah"

Ce dessin aux lignes droites est une façon rare de Brouty d'interpréter cette vue. Ses esquisses  sont généralement tracées de traits tout en rondeurs. J'aime fouiller de mes yeux les divers personnages qui animent les terrasses.

 

charles brouty18971984 les terrasses de la Casbah d'Alger

 

Sur un côté de la pièce, un lit bâti sur une surélévation en ciment, couvert d'une belle couverture aux dessins Kabyles et pour nous asseoir un banc de pierre avec de petits coussins de couleurs adossés au mur. Un robinet sortait de la muraille blanche. Sur un plateau, des friandises au miel, des zlabias et makrouts, des gâteaux couverts de sucre glacé et de perles d'anis argentées firent mon délice. Je restais interdit devant la sobrieté et l'étroitesse de ce logis, mais c'était tout le royaume de Suzanne Dali, la fille d'un paysan de la haute Kabylie, qui était venue chercher fortune à Alger.

 

                                                             Charles Brouty, "Mauresque dans son intérieur"

 

brouty mauresque d alger dans son intérieur

 

Maman entretenait la conversation et c'est elle qui par sa bonté et son intelligence denués de paternalisme dut mettre  Suzanne Dali à l'aise, j'en suis sûr, car je ne me souviens de rien d'autre que de cette découverte d'un autre monde étranger à moi.
Pour finir, peut-être à cause d'une histoire d'amour avec ce journaliste, ainsi que je veux le croire, Suzanne nous abandonna, je pense juste avant novembre 54.
Des années après, (entre temps le quotidien "Alger-Républicain" (avait été censuré), une visite surprit maman un après-midi. C'est moi qui ouvrit la porte à Suzanne  bien changée hélas. Intimidée par le grand jeune-homme que j'étais devenu, elle n'osa pas m'embrasser.
Dévoilée, son maquillage un peu fort voulait cacher le ravage des années. Maman l'accueillit au salon, chacune s'assit dans l'un des deux fauteuils de cuir vert, craquelés eux aussi par le soleil, et moi après avoir écouté les banalités d'usage sur l'adolescent qui se tenait gauchement, je les laissais seules dérouler leurs confidences. Peu après, maman vint dans sa chambre chercher quelques grands billets pliés dans un petit tiroir de son armoire à glaces, et revint avec ce secours que Suzanne Dali, dans sa dignité, n'avait pas demandé mais que sa visite expliquait. Ce souvenir de la pauvreté et de l'insécurité est restée une de mes angoisses.

J'espère que Suzanne repose en paix au cimetière d' El-Kettar, à moins qu'elle ne soit retournée voir, une dernière fois, sa forêt de cèdres où elle jouait pieds-nus.


Notes :

  Grâce au site de Jean Tosti, j'ai eu la joie de trouver la signification de ce patronyme musulman qui figure aussi en nombre au C.A.O.M. (IREL)..
"Mais, la plupart des Dali présents en France viennent d'Afrique du Nord, notamment d'Algérie. C'est, au départ, un nom turc avec le sens de téméraire, courageux."
Comme le disait mon prof de calcul: C.Q.F.D.

(1) Sur la forêt de Teniet-el-Had:
http://aj.garcia.free.fr/Livret7/L7p42-43.htm

(2) http://www.histoire.presse.fr/web/articles/albert-camus-misere-de-la-kabylie-lalger-republicain-  1939-22-11-2010-16441

 

(3) Suzane préférait toujours de travailler chez une famille juive où elle y trouvait le respect et la considération de son état.

 

 (4) Brouty par Francine Dessaigne:
http://cagrenoble.fr/brouty_2/brouty.html

 


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23 décembre 2012 7 23 /12 /décembre /2012 20:41


2012 se meurt, 2013 pousse
notre porte.  "Je ne sais ce dont sera faite l'année prochaine"* , cette phrase  la prononçait mon cher père, comme un leitmotiv, bien qu'il toujours s'efforçât de cacher ses soucis. A peine revenu de la Guerre, comme ses frères, il dut recommencer presque  à zéro sa situation: sa voiture réquisitionnée  par les américains lui fut rendue comme une épave, et la Minoterie familiale confisquée par Vichy et mal entretenue eut  aussi à affronter les vicissitudes juridiques de l'après-guerre.
Ma mère avait reçu en héritage, très jeune orpheline de 14-18, un petit immeuble situé  près des Halles d'Alger à Belcourt qui devait lui assurer une rente. En fait, cet immeuble vétuste, qui avait été secou
é par les bombardement en 1942, coûtait plus cher en réparations que n'en rapportaient les maigres loyers. Chaque fois que son concierge Monsieur Féminias sonnait à notre porte, c'était pour apporter la liste des  doléances (justifiées) des locataires. Ce géant, qui exhalait une forte odeur de tabac froid à dix pas, outre sa fonction subalterne avec sa femme de gardien d'immeuble, travaillait aux Chemins de Fers à la gare de l'Agha, en tant qu'homme à tout faire et je pouvais souvent le voir  de ma fenêtre cercler de neuf les grandes roues  de chariots à bagages. Un spectacle passionnant. De forgeron il en avait la force et l'habileté . Il encastrait à grands coups de maillet la roue en bois dans la jante de fer rougie,  et c'était  alors une course de vitesse pour éviter que le bois ne brûle,et il l'aspergeait ensuite d'un seau d'eau qui se vaporisait pour terminer son travail.
Mais revenons à cet hiver méditerranéen  sans neige.
ll y a des années, où les dates des fêtes de Noël et de Hanoucca(1), se chevauchent. Pour les uns, c'est un sapin décoré, (en réalité un épicéa); pour les autres, c'est la  "Fête des Lumières", avec des chandelles allumées une de plus chaque soir, (en tout huit et le chandelier est placé bien en évidence près d'une fenêtre  Mais le dénominateur commun est la grande joie des enfants. La plupart de mes camarades d'école communale mettaient leurs souliers devant la cheminée, (à Alger l'hiver était très humide, mais il y avait aussi  dans certains appartements de fausses cheminées décoratives) ou à défaut à côté de l'arbre en pot enguirlandé, mais d'autres comme moi, qui dit-on, ont les pieds fourchus, reçoivent leurs cadeaux directement de leurs parents. J'avais en commun avec mon ami Brakchi de ne pas fréquenter le catéchisme à St-Charles. Son grand-frère était le laitier du quartier Clauzel. Durant les restrictions, il avait coutume de couper le précieux laitage. Il pensait naïvement  puisque le mélange restait aussi blanc que la neige de son Djurjura, que le contrôleur des fraudes n'y verrait goutte...Hélas pour lui, dura lex sed lex, sa boutique dut fermer... Brakchi était un enfant chétif, comme moi alors, ce fut une des raisons de notre solidarité lors des bousculades aux recréations avec les autres élèves...

La semaine précédent les Fêtes, c'était chez-nous un peu différent . Les parents, oncles et tantes, à voix basse, dans un secret semblable à l'Opération Torch(2), rassemblaient les menus offrandes qui allaient s'entasser dans un coin théoriquement insoupçonnable de la maison. Mais moi qui furetais partout, connaissais évidemment  ce haut de placard, sous les coussins, une cache inaccessible à nos courtes jambes. Mais nous savions retenir notre curiosité par respect et  pour ne pas gâcher la surprise.
Évidement mon cousin très diable, jamais ne put se retenir d'ouvrir les  cadeaux avant l'heure en grimpant sur l'escabeau pour atteindre le haut de l'armoire de ses parents. !
Très tôt le matin de la fête, mon frère et moi en pyjama, nous nous réunissions dans le même lit, en pouffant de rire en écoutant des bruits étranges dans cette aube silencieuse. Mon père, dans la proche salle de bain, ouvrait un sac de coton hydrophile, et face au miroir essayait d'en faire un collier de barbe vénérable qui ne glisserait pas au moindre hochement de tête!. Il avait choisi une sortie de bain rouge, et encapuchonné, il ne lui manquait même pas  la hotte, faite de notre corbeille à papier en osier jaune, de notre chambre, qu'il avait subrepticement empruntée la veille. Et enfin prêt, cet amour de père Noël frappait à la porte de notre chambre, suivant le même rituel tous les ans, en déguisant sa voix,  et nous étions censés ne pas le reconnaître. Il déposait alors son fardeau et commençait sa distribution, sans oublier de rappeler le nom de chaque donateur.  Assis sur le lit, nous recevions à tour de rôle, les cadeaux de toute la famille, un jeu de Monopoly, un numéro complémentaire pour le mécano, mais surtout des livres, les Cent et uns Contes, Pantagruel et Gargantua, Les Misérables, (version intégrale), le Dernier des Mohicans, Flika, le Fils de Flika, les Contes d'Andersen, le Conscrit de 1813, les Contes d'Alphonse Daudet, Gulliver, des Jules Verne, tous ces trésors universels de la littérature pèle-mêle, sur notre lit, avec un kaléidoscope, un jeu de cartes, des pâtes à modeler, et bonheur suprême pour moi, un poste à galène, dans son coffret de bois.

Certes, j'exagère un peu et ces "dona ferentes" s'étalaient sur plus d'une année ! N'empêche que les Jules Verne, à la tranche dorée et reliés d'une couverture rouge, étaient de merveilleux présents qui appartinrent à Robert, le fils de notre très vieille tante Julie(3). mariée à David Caïn et parente de Julien Caïn(4), le célèbre Administrateur de la Bibliothèque Nationale.
La hotte enfin vidée, notre père-Noël nous confiait,, le visage soudainement  plus rembruni  chaque année "qu'il ne savait pas ce dont serait faite l'année prochaine"*. Les problèmes économiques, les soucis, il ne nous les faisait pas partager, seule cette petite phrase, que nous faisions semblant de ne pas entendre pour ne pas gâcher notre égoïste plaisir à ouvrir ces présents. Ainsi, à l'école, nous pouvions échanger nos commentaires sur ces offrandes avec nos petits camarades, sans nous sentir frustrés.
Mon père, qui déclamait sans peine le "Bateau Ivre" de Rimbaud ou autres poèmes, et aussi respectueux de son héritage judaïque, se transformait, une fois l'an, en porteur de joie universelle, par amour de ses enfants.
Mais une année bien sombre, celle ou les jouets étaient encore de pacotille(5), mon père pris de court et  s'improvisant menuisier, décida qu'un vilain sachet de papier marron n'était pas convenable pour contenir quelques pièces de Mécano, mêmes écaillées, qu'il avait dénichées.  La veille au soir, après une journée de labeur, il prit une scie, un marteau, des clous, des baguettes de bois de carouge qui traînaient dans le placard à outils, et s'employa à construire une boite, avec même des cloisons pour ranger les vis et les écrous. Évidemment dans le plus grand secret ! Certes, ils étaient faits de vil métal  (comme les pièces de monnaies d'alors en ersatz de Nickel!) et s'adaptaient mal  à  nos petits doigts, et les composants en tôle ajourée étaient trop ductiles, mais pour nous c'était un trésor!.
Et là, après soixante ans, je dois demander pardon à notre voisin, du dessous du bruit infernal que ce marteau fit en enfonçant ces clous dans ce bois rébarbatif, à minuit, et sur le carrelage !!
Il resta à mon père encore un peu de temps avant le lever du soleil pour passer le tout au brou de noix. Le matin, deux boites magnifiques avec couvercle et charnières, remplirent la hotte miraculeuse . (J'espère que restées à Alger, elles firent la joie d'autres enfants, après tout, ce pouvait être aussi une boite idéale pour disposer des cacahuètes et des biblis...).

Mais cette distribution était à peine terminée, qu'un coup de sonnette matinal retentit au palier. Je suivis mon  père, encore enveloppé de sa cape qui,  par réflexe, alla ouvrir la porte, et se trouva nez à nez avec.. ce Monsieur Fémenias, stupéfait et ne croyant pas ses yeux rougis par la forge, de voir "Monsieur Lévy" en Père-Noël  !! J'imagine que la description qu'il en a dû faire à sa femme, de retour rue de l'Union, a dû faire rire plus d'un  Belcourtois. Moi même j'en ris encore, mais je vous en prie, ne racontez cette histoire à personne.
Aujourd'hui. avec mes cinq enfants nés en Israel, je n'ai pas imité mon père, et sa façon originale de nous gâter, car évidement de minorité nous sommes devenus une majorité !.
Au jardin d'enfant, ma petite fille a comme tous les bambins dansé au son des chansons enfantines de Hanoucca. Comme ses petits camarades elle a dégusté ces fameux beignets sucrés au coeur de confiture, et alors sans doute fatiguée par cette matinée, a décidé de s'allonger sur le linoléum frais pour reprendre des forces...
Elle vous souhaite à vous tous, chers lecteurs et lectrices, une année sereine  et riche en heureux évènements.

28.11.12 034
Notes:
(1) Hanoucca:
(2) Opération "Torch" :
(3)  Julie Caïn:
Soeur de mon Grand-Père paternel Charles Lévy, ses parents  étaient originaires de Soultz (Haut-Rhin) et en 1870, après la défaite de Sedan, choisirent de s'enregistrer dans le Territoire de Belfort pour rester Français et échapper à la nationalité allemande imposée par les Prussiens. Femme extraordinaire, elle sauva les jeunes cousins après la défaite de 1940 en les cachant dans un tombereau...Elle était parente de Julien Caïn(4) qui fut le brillant administrateur de la Bibliothèque Nationale de France. La politique de la France d'alors étaient de peupler l'Algérie. Ainsi ils se retrouvèrent, les familles Lévy , Caïn,  Blum,  Bloch,  Dreyfus,  Geisman, Meyer et bien d'autres pionniers dans ce pays où régnaient le paludisme, l'insécurité, la sécheresse, les razzias et même encore le trafic d'esclaves noirs.
Ces noms maintenant s'effacent lentement sur les tombes profanées de nos cimetières.

(4) Julien Caïn : 


(5) de pacotille :
Durant les restrictions, les matières premières étaient exportées à l'Etat Français de Vichy. Le blé, les agrumes, comme les minerais de l'Ouenza traversaient la Méditerranée pour aider l'occupant qui ainsi faisait une ponction sanglante dans l'Algérie. Les Indigènes en particulier souffrirent  de  ces privations et grâce aussi à la propagande des envoyés de Berlin en Afrique du Nord, une révolte cruelle soigneusement fomentée par les agitateurs, éclata à Sétif et dans l'Ouest Constantinois le 8 mai 1945, la date choisie pour célébrer l'Armistice.
  

 


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